Même si nous connaissons Lucien
Etxezaharreta par sa profession de journaliste à la radio
Gure Irratia, il faut savoir que depuis plus de vingt ans il
fait la promotion de la littérature basque en Iparralde.
Plus précisément, par l'intermédiaire de
la revue littéraire Maiatz et par des émissions
sur la littérature basque à la radio, Lucien Etxezaharreta
a l'occasion de se rapprocher des auditeurs et des lecteurs des
provinces du Labourd, de la Soule et de Basse Navarre. Ces dernières
années, il publie aussi dans Maiatz des poésies,
des nouvelles, des traductions. Même si aujourd'hui du
matériel existe pour propager la littérature basque,
pour arriver à cette situation, le chemin a été
long pour lui et pour tous ceux qui ont collaboré à
la promotion de la littérature basque. Depuis les années
soixante, beaucoup d'années se sont écoulées,
mais les préoccupations et les inquiétudes du début,
sont toujours d'actualité chez les auteurs d'Iparralde.
Ce journaliste écrivain militant de la littérature
basque nous rappelle les péripéties qui se sont
déroulées lors de ces trente années.
-Depuis toujours la littérature a eu de l'importance
dans la culture en Iparralde. Depuis que vous avez créé
la revue Maiatz, vous avez essayé de propager cette culture
comme tant d'autres écrivains et poètes. Pouvez-vous
nous rappeler dans quelles conditions vous aviez démarré
Maiatz?
Comme beaucoup de militants, j'avais l'inquiétude de l'euskara.
Cela date de longtemps: quand j'étais étudiant,
en 1964, j'avais débuté dans la revue " Egia
" des étudiants basques de Bordeaux. En regroupant
divers groupes de Pau, Paris, Bordeaux et Toulouse, nous avions
créé la revue "Ikasle" en 67 qui dura
jusqu'en 69. Nous distribuions cette revue dans les universités.
Comme beaucoup d'autres écrivains, j'ai débuté
dans l'hebdomadaire Herria, en écrivant quelques chroniques,
particulièrement sur la vie des étudiants. Dès
ces débuts, il y a une trentaine d'années, je m'étais
vite rendu compte de l'importance de l'euskara pour la culture
basque. D'autre part, il faut souligner que les abertzale en
Iparralde, autour d'Enbata, étaient aussi des euskaltzale,
des "bascophiles" réclamant un statut pour l'euskara.
Dans ces années soixante, on avait conscience que l'euskara
ne constituait pas une priorité au Nord: par exemple,
il n'existait pas de dictionnaire basque. Même si aujourd'hui
cela paraît invraisemblable, si vous vouliez écrire
en basque, et que des mots vous manquaient, nous n'avions que
le lexique de Tournier Lafitte ou celui de Lhande. Celui d'Azkue,
de 1905, était introuvable, voire inconnu. Dans les années
68 et 69, faisions des stages, dans une association qui s'appelait
" Amaia ". Nous avions invité Pierre Lafitte
et il nous avait raconté l'histoire de la littérature
basque au cours d'une conférence mémorable à
Landagoyen (Ustaritz). Comme beaucoup d'autres, j'avais intégré
la défense de l'euskara dans la défense du Pays
Basque. Nous estimions important d'apprendre la langue et d'avoir
une bonne connaissance de la littérature basque.
-C'est autour de la littérature que vous avez créé
la revue Maiatz, le principal objectif étant de propager
la langue et la littérature basque, n'est-ce-pas?
C'est excessif de dire que nous avons voulu créer une
revue autour de la littérature basque. Le but était
d'offrir un espace de création aux écrivains d'Iparralde.
A ce propos, je me souviens d'une réunion à l'abbaye
de Belloc, à la fin des années 70 où nous
avions invité tous les écrivains connus en Iparralde.
Lors de cette réunion, nous nous étions rendu compte,
que de nombreux
étudiants, ingénieurs ou enseignants avaient aussi
la facilité de s'exprimer et d'écrire en basque.
Avec les plus âgés, Piarres Charritton ou Iratzeder,
se trouvaient des jeunes, comme Itxaro Borda, qui écrivait
depuis l'âge de dix ans. Dans ces années-là,
la revue "Gure Herria" avait disparu et même
si l'hebdomadaire Herria, proposait quelque place à la
création littéraire, en fait aucun lieu n'existait
pour écrire en Iparralde. Le franquisme qui sévissait
en Hegoalde, fermait toutes les portes. Il y avait quand même
un mouvement, autour de jeunes auteurs.
Autour du basque, c'était encore la clandestinité
même si les prémisses d'une sorte de renaissance
culturelle étaient làS Face à cela, nous
avons toujours ressenti qu'en Iparralde nous devions faire quelque
chose. On sentait germer en Hegoalde une force considérable
avec une foule de nouvelles revues et d'écrivains, alors
que nous en Iparralde, nous étions faibles.
-Quels objectifs vous fixiez-vous?
Il nous semblait, au regard de notre situation, que des revues
comme Gure Herria n'étaient pas capables de stimuler la
création. Nous étions conscients intuitivement
de cette réalité, et nous voulions faire un effort
de renouvellement. Alors nous avons créé Maiatz.
Ayant terminé mon séjour parisien et me lançant
dans la radio j'étais retourné au Pays Basque en
1981. J'avais eu un contact avec Itxaro Borda et toute une nouvelle
génération s'était réunie: Manex
Lanathua, Aurelia Arkotxa, Eñaut Etxamendi, Mayi Pelot
et beaucoup d'autres. Sans aucun doute, il y avait une volonté
très forte d'écrire. Nous sentions qu'il y avait
aussi un désir d'un monde littéraire nouveau en
contact avec la nouvelle réalité du pays, en phase
avec les changements sociaux importants qui se produisaient.
En Iparralde, les jeunes avaient quitté le pays et une
évolution culturelle majeure contre le basque se produisait
. Nous sentions les effets néfastes de la télévision
et l'euskara commençait à disparaître à
grande vitesse.
L'ancienne association publique Euskaltzaleen Biltzarra qui oeuvrait
pour la défense de la langue basque, perdait tout prestige
et efficacité, Ikas balbutiait. Il y avait un grand vide
autour de l'euskara. Après la réunion de Belloc,
nous pensions que nous avions les moyens de créer autre
chose.
-Lorsqu'on se rend compte des difficultés rencontrées
à cette époque, on s'imagine que mettre en marche
une revue comme Maiatz n'a pas été facile?
Oui, je reconnais que créer cette revue a été
difficile. Nous avons rencontré beaucoup de problèmes
pour publier les deux premiers numéros. Le succès
fut une surprise, quand nous avons sorti notre premier numéro
en février 1982. La thématique du début
était imprécise même si nouveauté
et création étaient évidentes. Nous avons
hésité sur l'aspect "études littéraires".
Xarriton était membre dans les premiers temps. Il nous
avait demandé, si on pouvait éditer des travaux
de recherches universitaires ou d'analyses littéraires.
Il est apparu qu' il n'y avait pas de place pour publier de tels
articles qui pourtant, vu notre ignorance générale
étaient bien nécessaires. A cette époque
ce n'était pas possible de publier dans Maiatz de tels
articles. De plus, nous recevions beaucoup de textes et on sentait
augmenter l'envie d'écrire.
D'année en année les conditions se sont améliorées
et nous venons de publier le numéro 33. Même si
nous connaissons des hauts et des bas, on peut affirmer que la
revue Maiatz recueille les écrits des jeunes auteurs en
Iparralde. Nous avons fonctionné
sans aides financières. Ces dix dernières années,
l'Institut Culturel Basque nous a attribué une subvention.
Mais notre appui principal est cette volonté d'écrire.
Il est important d'ajouiter qu'en même temps que la revue,
à partir de 84, nous avons publié une série
de livres. Nous en avons publié 45. Le premier fut celui
d'Itxaro Borda. Plusieurs auteurs sont ain si "nés":
Aurelia Arkotxa, Manex Lanathua, Henriette Aire, Maddi Pelot,
Jakes Ahamendaburu, Mailuix Legorburu, Koldo Ameztoi et d'autres.
Cela nous fait plaisir de savoir que nous avons été
les premiers à les publier. C'est franchir ce premier
pas de l'édition qui est le plus difficile et c'est le
plus important chez un écrivain.
-Peut-on dire que vous avez effectué un travail
de militant en voulant promouvoir la littérature basques
C'était un acte volontaire mais c'était et c'est
un militantisme naturel. Mais hélas, ici en Iparralde,
ainsi qu'en Hegoalde le militantisme abertzale n'est pas toujours
en relation directe avec le soutien à l'euskara. Mais
pour nous c'était évident, sans l'euskara il n'y
a pas de Pays Basque. Pour cette raison, et pour beaucoup d'autres,
la littérature a une fonction importante par rapport à
la langue. Elle la fixe, elle la travaille, elle crée
un espace culturel, un ima ginaire. Dans ces années soixante-dix,
beaucoup de "bibliothèques vivantes" disparaissaient,
des personnes âgées qui parlaient correctement la
langue.
Nous mesurons aujoiurd'hui combien nous avons perdu d'expressions
et de locutions. Pour un écrivain, il y a beaucoup de
raisons de créer. Ce militantisme était un devoir
et l'est toujours, pour sauvegarder la richesse des dialectes
d'Iparralde, pour les faire vivre et créer la nouvelle
littérature d'aujourd'hui.Faire vivre l'euskara, c'est
l'actualiser en exprimant notre époque. Dès nos
premiers numéros, nous avons publié des textes
provocateurs, érotiques. Maintenant on traite beaucoup
autour de ces sujets et les écrivains d'Hegoalde en sont
friands. Nos thèmes souvent traitaient d'un monde nouveau
mais toujours en continuité avec une mémoire. Dans
notre production se réflète la crise morale et
sociale du Pays Basque.
-Dans ces années soixante-dix, comme actuellement,
peut-on dire que ceux qui ont participé dans la revue
Maiatz, ont inventé la littérature en Pays Basque
Nord?
Non, on répète, on modifie, on remodèle,
on adapte et nous nous flattons de reprendre notre langue ancienne.
J'ai souvent conscience, que les textes d'autrefois sont toujours
d'actualité. On oublie trop les choses d'avant et la société
actuelle doit y faire attention.
Mais, la nouveauté et la création existent. Il
est clair que les écrivains d'aujourd'hui ont une formation
très différente d'il y a cinquante ans, loin d'être
dans le giron francophone elle est véritablement internationale.
Cette nouvelle formation culturelle internationale, particulièrement
celle de l'école à l'université ou encore
l'influence de la télévision, nous connectent avec
le monde entier. Avec Internet cela va grandissant. Ainsi, les
expériences littéraires du monde entier nous parviennent
et constituent une manne pour la nouvelle littérature
Mais le grand problème en Iparralde, est le peu de lecteurs:
les bascophones sont peu nombreux, souvent analphabètes
dans leur langue. L'euskara est toujours mis à l'écart:
peu d'enseignement, absence de la vie publique, mais une volonté
existe dans la population.
On peut parler de littérature contemporaine en Iparralde.
Mais, la littérature du passé aussi nous donne,
comme dans les autres littératures, des références.
Avec ces références aussi, on construit une langue.
Tout cela fait la création. Il faut continuer le chemin
repris par Maiatz il y a vingt ans, parce que la vie nous tire
toujours vers l'avant et que l'euskara en vaut la peine.
-Peut-on dire qu'existe
en Iparralde, un particularisme de la littérature.
La littérature d'Iparralde est très reliée
à celle d'Hegoalde. Aujourd'hui, on ne peut pas parler
de "littérature d'Iparralde", plutôt de
"littérature basque" dans son ensemble. L'identité
de la littérature d'Iparralde s'appuie sur la place des
dialectes. Chez certains écrivains d'Iparralde, on note
une influence plus ou moins importante d'Hegoalde et ceci prouve
les relations qui existent naturellement. En effet, les écrivains
d'Iparralde lisent les ouvrages des auteurs d'Hegoalde et font
l'effort de franchir leurs différences dialectales, ce
qui n'est pas toujours le cas dans le cas inverse. Ces vingt
dernières années, nous avons souvent collaboré.
Il y a toujours eu un pont entre nous et nous avons ressenti
et apprécié leur influence. Au-delà d'une
activité commune et même de la problématique
de la langue, il faut rappeler que, la littérature est
aussi un acte personnel et chaque écrivain subit ses propres
influences, a sa propre culture et connaissance et les transcrit
sur le papier. En outre, la littérature du Pays Basque,
s'inscrit de plus en plus dans la culture universelle, les livres
se traduisent en plusieur langues. Les écrivains d'Iparralde
ou d'Hegoalde reçoivent les mêmes types d'informations
aujourd'hui. On peut dire que les littératures des deux
côtés de la frontière se rapprocheront de
plus en plus.
Mais j'ajouterais que, quand même, les écrivains
d'Iparralde ont une dette envers ceux qui nous ont enseigné
et parlé le basque: nos parents, les enseignants. Gràce
à eux, nous possédons cette richesse et nous devons
faire un effort pour bien apprendre et bien parler notre diaclecte
d'Iparralde afin d'en exprimer les richesses sur le fonds commun
d'euskara unifié qui se profile dans le siècle
à venir.
-Vous faites allusion à l'influence internationale,
comment voyez-vous l'avenir de la littérature basque?
Aujourd'hui je découvre combien il y a d'écrivains
intéressants en Bosnie. Comme les autres, je me rends
compte combien leurs approches littéraires sont voisines
de nous. Ce n'est qu'un exemple. Il me semble que les acteurs
littéraires de langues minoritaires devraient s'unir.
Par exemple, établir des échanges entre la Bretagne,
l'Occitanie, la Corse, faire des traductions. C'est d'actualité:
partout des rencontres littéraires se mettent en place
entre écrivains de langues minotaires d'Europe. Nous avons
beaucoup à gagner, nous avons tous les mêmes problèmes
envers l'avenir en particulier ceux de la construction de nos
langues. L'avenir de la littérature basque se situe dans
cette construction européenne.
Photographies: Ainize Butron
Euskonews & Media 90.zbk (2000
/ 9 / 8-15) |