En
1934, lorsque Madeleine de Jauréguiberry commence à
collaborer au mouvement eskualerriste lancé par l’abbé
Pierre Lafitte et à son organe de presse Aintzina,
elle est âgée de 50 ans.
Dans les années
1930, le Pays Basque continental présente du point de vue
politique le visage d’une société conservatrice
fortement imprégnée par les vertus traditionnelles
liées à la religion catholique et à l’économie
rurale. Dans cette société ultra-conservatrice,
quelques signes de renouveau et de modernisme vont cependant se
faire jour ; le mouvement eskualerriste est un de ces signes
révélateurs.
1 - Le mouvement
eskualerriste
En novembre 1933,
paraît –avec une édition en français et une
autre en euskara- une brochure de 45 pages, œuvre de l’abbé
Pierre Lafitte, intitulée : Eskual-Herriaren alde
(Pour le Pays Basque). Court commentaire du programme eskualerriste
à l’usage des militants.
Avec
ce programme, les jeunes militants étaient dotés
d’une doctrine rédigée dans le style clair, direct
et précis de l’abbé Lafitte ; c’était
le résultat des discussions qui avaient eu lieu, depuis
un plus d’une année.
Le programme reprenait
la devise du Parti Nationaliste Basque en l’adaptant au Labourdin :
Jainkoa eta Lege Zaharra (Dieu et la Vieille Loi).
Son premier point
proclamait : « Dieu premier service » ; il
se prononçait dans l’esprit des anciennes constitutions
basques pour une large décentralisation politique et administrative,
pour la reconnaissance de la langue basque et son officialisation,
pour la rebasquisation et la promotion de la culture basque et
plus généralement pour la défense et la promotion
des coutumes et des traditions basques.
Les
premiers militants du mouvement eskualerriste sont des disciples
et amis de l’abbé Lafitte : Eugène Goyheneche,
Jean Duboscq, Pierre Amoçain, Jacques Mestelan, Michel
Diharce etc…
Outre ces très
jeunes gens –âgés pour la plupart de 16 à
20 ans à l’époque- l’abbé Lafitte sera particulièrement
heureux de pouvoir compter sur deux militants ayant dépassé
la cinquantaine : le docteur Jean de Jauréguiberry
et sa sœur Madeleine.
Jean de Jauréguiberry
fait paraître en 1933 dans Gure Heria, un article
remarqué sous le titre : « Renaissance basque ».
Pour sa part, Madeleine
–investie par l’abbé Lafitte présidente de Begiraleak-
collabora à Aintzina sous le pseudonyme de Juanes
Basaburu ; elle y écrit presque chaque mois un
court article en souletin.
2 - Son action
dans la guerre d’Espagne
Durant la guerre
civile d’Espagne, Madeleine de Jauréguiberry s’oppose au
courant dominant pro-franquiste d’Iparralde. Elle s’insurge contre
les calomnies proférées à l’égard
des nationalistes basques d’Hegoalde ; lorsqu'elle parle
de ces derniers, elle les appelle « nos frères que
j’estime et admire ». C’est à leur contact, dans les
années 1935-1936, qu’elle prit conscience de la nécessité
de travailler en faveur de la langue et de la culture basque.
C’est dans un article
de Gure Heria de 1973 (elle a alors 89 ans !) qu’elle
a le mieux défini les véritables enjeux de la guerre
civile espagnole et la manière dont les Basques furent
calomniés :
« Il n’était nullement
question de croisade contre le communisme en cette fin de juillet
36. Il s’agissait pour les militants espagnols, d’accord avec
Hitler et Mussolini, de s’emparer des provinces basques, pour
occuper les ports de Biscaye et les mines de Bilbao, après
avoir réduit les populations au silence sous une dictature
à l’image de celles de Hitler et de Mussolini. L’ombre
de la future guerre européenne se profilait déjà
à l’horizon…
Le monde, stupéfait,
assistait à cette soudaine invasion des provinces basques.
Quelle raison en donner ? Dire que les Basques étaient
communistes ? Personne ne l’avait cru. Mais dire qu’ils
venaient de signer un pacte avec les communistes en échange
de libertés qui leur seraient accordées au
lendemain d’une victoire commune était une calomnie qui
pouvait passer pour une Vérité. »

Madeleine de Jauréguiberry
se rend à Paris et plaide la cause des nationalistes basques
auprès de Claude Bourdet et de Jacques Maritain, respectivement
secrétaire et président du Comité pour la
Paix Civile et Religieuse en Espagne, Comité fondé
en mai 1937 et qui joua un rôle important concernant l’aide
humanitaire et l’accueil des réfugiés basques sur
le sol français.
C’est porteuse de
deux lettres, l’une du père Bernadet, responsable de la
revue des Dominicains Sept, l’autre signée de Jacques
Maritain, François Mauriac et Claude Bourdet qu’elle se
rend à Rome pour rencontrer Mgr Mateo Mugica, l’évêque
basque exilé par Franco. Certes sur l’instant Mgr Mugica
–étroitement surveillé par la hiérarchie
vaticane- ne peut fournir que des réponses décevantes
à ses correspondants. Mais 8 ans plus tard, en 1945, dans
sa brochure Imperativos de mi conciencia (Exigences de
ma conscience), il protesta publiquement contre la campagne de
calomnies qui avait frappé le clergé nationaliste
basque et contre l’exécution de 16 prêtres nationalistes.
Près de 40
ans après ces événements dramatiques, Madeleine
de Jauréguiberry tente encore d’expliquer et de convaincre
dans les nombreux articles qu’elle écrivit pour Le Miroir
de la Soule. Sa lucidité politique est intacte et lui
permet des comparaisons historiques par-delà les continents :
ainsi au moment du putsch de Pinochet au Chili en 1973 qu’elle
compare au soulèvement franquiste de 1936 : « même
rébellion contre un gouvernement légalement instauré,
même agression de force… »
En définitive,
on peut dire que Madeleine de Jauréguiberry tout au long
de sa longue vie (1884-1977), a été l’illustration
parfaite de la devise qu’elle a maintes et maintes fois citée :
« Bethi aintzina,
chuchen chuchena dabila Eskualduna » « Toujours en avant,
toujours tout droit, va le Basque ».
Jean Claude Larronde,
historien
Photos: Bidegileak 19 (Eusko Jaurlaritza) |