écouter le chant de NoëlLa nuit de Noël du coté de Garazi
* Traduction au français de l'original en basque
Eñaut Etchamendy

Dès que les premières neiges d'automne apparaissaient sur les montagnes, le mot Noël commençait à paraître dans nos conversations. Nous devions engraisser "ttoro" pour Noël. C'était le porc dernier né de la portée, expulsé avec le placenta, élevé séparèment, les autres l'écartant des mamelles de la truie. Celui qu'on élevait avec des restes de lait, de soupe. Pansu comme verron, nourri à la main avec une suspecte tendresse. C'était le premier porc, celui de Noël. Depuis longtemps les cochonailles d'antan étaient épuisées et nous rêvions de la nouvelle cuvée, l'eau nous venait à la bouche à l'évocation des boudins.
Mais, il y avait plus dans les temps d'avant Noël : les truites qui remontaient pour frayer. De nuit nous posions la nasse pour les attraper, récupération avant la levée du jour, gare au garde-pêche !
Renards de Noël, tout argent et bonne escarcelle ! A notre hameau de quatorze fermes, les plus élevées du village dès que hautes pâtures et forêts de hêtres blanchissaient de neige, les renards, fouines et autres animaux descendaient par les sentiers filant dans les chênaies, chataigneraies, aulnaies, frênaies, buissons de noisetiers, touffes de buis, prêts des fermes. Des pièges ? Nous posions des pièges et des collets ! Dès l'aurore nous allions voir les prises éventuelles. Mais,
"Nous sommes fichus avec toi Mattin ! nous n'allons pas sauver un chat ! "
- Qu'est-ce-qu'il y a Maria ?
- oui, notre chat a la patte coincée par tes sales pièges.
- Tu vas pas croire que....
- oui la dernière fois aussi tu l'avais attrapé par la patte arrière !"
Mais nous attrapions aussi des renards au pelage et à la queue argentés ! Noël était un temps de rêves : un monde s'en allait, un autre venait ! La neige marquait le passage. Elle couvrait les cours boueuses des fermes, les fougeraies escarpées sombres des rousseurs de l'automne, d'une couverture blanche comme robe de mariée, et les brebis mettaient bas les agneaux car enfin ! elles descendaient de la borde de montagne à la bergerie de la ferme.
Noël, Noël, l'enfant Jésus apporterait des jouets et de la musique. L'enfant Jésus pouvait tout apporter ! Nous voulions ceci, cela, et puis encore autre chose, un miracle !
Venez seigneur bien aimé, source de vie, venez divin messie, venez, venez !
Nous ne comprenions pas très bien la signification du mot Messie ! ce nom étranger, grandiose, rare et mystérieux pesant aussi ! cet "S" gras et pointu, qu'est-ce-que cela pouvait être ? Clôture (hesi), début (hasi), buisson (sasi), repu (asé), fermé (hetsi), patron (nausi), cassé (hautsi) ? mais ce mot se terminait par un second S : MessiaS ! qu'est-ce-que c'est ? : Matias ? JudaS ? BarabaS ? Les habitants de la Vallée d'Aezcoa, hommes des forêts avaient l'habitude de prononcer beaucoup de S ! D'un coup de baton l'un d'eux avait cassé un osse à la brebisse !
De toute façon, même si ce mystère était obscur pour nous, pour Noël nous cirions les chaussures du mieux possible pour la visite nocturne de l'enfant Jésus. Nous comptions les jours. Assis au coin du feu, tous les frères et soeurs (nous n'étions que sept ! ) Nous anticipions du plaisir de recevoir les cadeaux, tous à qui plus fort : "mon petit chien fera jai-jai-jai" ! "mon cheval fera klosk-klosk-klosk" ! et "moi je jouerai à l'armonica" ... ! Quel concert !
Papa avait tué le mouton gras la veille du dépouillage du maïs. La semaine qui précède Noël, avant que la nuit se termine, nous faisions un grand repas dans la grande entrée de la maison, parce que le grenier était plein à craquer de maïs. Les jeunes garçons et les filles du voisinage y venaient, les paniers posés sur leurs têtes, tous plaisantant, chantant et lançant des cris de joie, les armonicas dans les poches, pour danser jusqu'à l'aube ! Cette nuit-là on chantait en dépouillant les épis de maïs, et entre autres chansons celle ci :
"Sentilé, elle est faguée
Elle est taquine, elle est fagué(e)
Sabia Mona, Sabia Mona, qui v(f)ous adona
MESIAS elemaneS segera-segera konkorda (Bis)"
Plus tard, devenu "savant", j'ai cherché à en comprendre le sens :
"Gentilek (les paiens) sans paroles (elhe bague)
"Font discours (elheta egin) sans parole (entendez sans le VERBE....)
"La Savante guenon (en espagnol Marie qui singe Mari la déesse) péteuse (iphutzaduna)
Parlant de (elhe emanez) Messie / ou Donnant le Messie comme Verbe.
"Sûr de sûr c'est du tordu (tromperie)"
Soit en clair
"Les gentils enseignent sans parole (Verbe)
La Savante guenon, la Savante guenon péteuse
Prétendant donner le Messie-Verbe
"A coup sûr c'est de la Supercherie".

Les gens chantaient comme ils l'avaient entendu et appris, sans rien comprendre aux mots codés. Le plus étonnant c'est que l'on ait chanté ces paroles jusqu'à nos jours dans notre coin de Garazi à Esterençuby...


Eñaut Etchamendy, écrivain.
 


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