Dès que les premières
neiges d'automne apparaissaient sur les montagnes, le mot Noël
commençait à paraître dans nos conversations.
Nous devions engraisser "ttoro" pour Noël. C'était
le porc dernier né de la portée, expulsé
avec le placenta, élevé séparèment,
les autres l'écartant des mamelles de la truie. Celui
qu'on élevait avec des restes de lait, de soupe. Pansu
comme verron, nourri à la main avec une suspecte tendresse.
C'était le premier porc, celui de Noël. Depuis longtemps
les cochonailles d'antan étaient épuisées
et nous rêvions de la nouvelle cuvée, l'eau nous
venait à la bouche à l'évocation des boudins.
Mais, il y avait plus dans les temps d'avant Noël : les
truites qui remontaient pour frayer. De nuit nous posions la
nasse pour les attraper, récupération avant la
levée du jour, gare au garde-pêche !
Renards de Noël, tout argent et bonne escarcelle ! A notre
hameau de quatorze fermes, les plus élevées du
village dès que hautes pâtures et forêts de
hêtres blanchissaient de neige, les renards, fouines et
autres animaux descendaient par les sentiers filant dans les
chênaies, chataigneraies, aulnaies, frênaies, buissons
de noisetiers, touffes de buis, prêts des fermes. Des pièges
? Nous posions des pièges et des collets ! Dès
l'aurore nous allions voir les prises éventuelles. Mais,
"Nous sommes fichus avec toi Mattin ! nous n'allons pas
sauver un chat ! "
- Qu'est-ce-qu'il y a Maria ?
- oui, notre chat a la patte coincée par tes sales pièges.
- Tu vas pas croire que....
- oui la dernière fois aussi tu l'avais attrapé
par la patte arrière !"
Mais nous attrapions aussi des renards au pelage et à
la queue argentés ! Noël était un temps de
rêves : un monde s'en allait, un autre venait ! La neige
marquait le passage. Elle couvrait les cours boueuses des fermes,
les fougeraies escarpées sombres des rousseurs de l'automne,
d'une couverture blanche comme robe de mariée, et les
brebis mettaient bas les agneaux car enfin ! elles descendaient
de la borde de montagne à la bergerie de la ferme.
Noël, Noël, l'enfant Jésus apporterait des jouets
et de la musique. L'enfant Jésus pouvait tout apporter
! Nous voulions ceci, cela, et puis encore autre chose, un miracle
!
Venez seigneur bien aimé, source de vie, venez divin messie,
venez, venez !
Nous ne comprenions pas très bien la signification du
mot Messie ! ce nom étranger, grandiose, rare et mystérieux
pesant aussi ! cet "S" gras et pointu, qu'est-ce-que
cela pouvait être ? Clôture (hesi), début
(hasi), buisson (sasi), repu (asé), fermé (hetsi),
patron (nausi), cassé (hautsi) ? mais ce mot se terminait
par un second S : MessiaS ! qu'est-ce-que c'est ? : Matias ?
JudaS ? BarabaS ? Les habitants de la Vallée d'Aezcoa,
hommes des forêts avaient l'habitude de prononcer beaucoup
de S ! D'un coup de baton l'un d'eux avait cassé un osse
à la brebisse !
De toute façon, même si ce mystère était
obscur pour nous, pour Noël nous cirions les chaussures
du mieux possible pour la visite nocturne de l'enfant Jésus.
Nous comptions les jours. Assis au coin du feu, tous les frères
et soeurs (nous n'étions que sept ! ) Nous anticipions
du plaisir de recevoir les cadeaux, tous à qui plus fort
: "mon petit chien fera jai-jai-jai" ! "mon cheval
fera klosk-klosk-klosk" ! et "moi je jouerai à
l'armonica" ... ! Quel concert !
Papa avait tué le mouton gras la veille du dépouillage
du maïs. La semaine qui précède Noël,
avant que la nuit se termine, nous faisions un grand repas dans
la grande entrée de la maison, parce que le grenier était
plein à craquer de maïs. Les jeunes garçons
et les filles du voisinage y venaient, les paniers posés
sur leurs têtes, tous plaisantant, chantant et lançant
des cris de joie, les armonicas dans les poches, pour danser
jusqu'à l'aube ! Cette nuit-là on chantait en dépouillant
les épis de maïs, et entre autres chansons celle
ci :
"Sentilé, elle est faguée
Elle est taquine, elle est fagué(e)
Sabia Mona, Sabia Mona, qui v(f)ous adona
MESIAS elemaneS segera-segera konkorda (Bis)"
Plus tard, devenu "savant", j'ai cherché à
en comprendre le sens :
"Gentilek (les paiens) sans paroles (elhe bague)
"Font discours (elheta egin) sans parole (entendez sans
le VERBE....)
"La Savante guenon (en espagnol Marie qui singe Mari la
déesse) péteuse (iphutzaduna)
Parlant de (elhe emanez) Messie / ou Donnant le Messie comme
Verbe.
"Sûr de sûr c'est du tordu (tromperie)"
Soit en clair
"Les gentils enseignent sans parole (Verbe)
La Savante guenon, la Savante guenon péteuse
Prétendant donner le Messie-Verbe
"A coup sûr c'est de la Supercherie".
Les gens chantaient comme ils l'avaient entendu et appris,
sans rien comprendre aux mots codés. Le plus étonnant
c'est que l'on ait chanté ces paroles jusqu'à nos
jours dans notre coin de Garazi à Esterençuby...
Eñaut
Etchamendy, écrivain. |