Même si Jean Echenoz a élu
domicile à Paris, il passe régulièrement
ses vacances à Biarritz depuis longtemps. Il suit de près
les événements qui se déroulent au Pays
Basque. Il y trouve des sources d'inspiration. Le Pays Basque
a influencé son dernier roman "Je m'en vais",
dont le suspens se termine à Saint-Sébastien. Avec
ce roman, précisèment, il a reçu le prix
le plus important en littérature, en France, le prix "Goncourt".
-Est-ce que vous pourriez vous présenter, présenter
votre biographie, votre bibliographie?
Ma biographie se confond un peu avec les livres (1).
Je suis né en 1947 dans le Vaucluse. J'ai vécu
dans le midi jusqu'à l'âge de 22 ans, où
j'ai commencé des études supérieures à
Aix-en-Provence. Je suis parti les poursuivre à Paris.
J'ai commencé à publier il y a 20 ans, en 1979.
Je vis à Paris depuis 1970.
-Comment est-ce que vous
avez commencé à écrire, dans quelles circonstances,
à quel âge?
Il se trouve que dans mon enfance, je vivais dans une maison
où il y avait beaucoup de livres. Mes parents étaient
-et sont toujours d'ailleurs- des lecteurs très fervents.
Le goût pour la lecture et l'écriture est donc arrivé
très tôt, dès l'enfance. Je me vois écrivant
des petits poèmes, j'avais 7-8 ans et ça a toujours
été une pratique un peu naturelle et disons, d'amour.
Pendant toute ma jeunesse, j'écrivais des textes que je
ne faisais lire à personne, que je n'achevais généralement
pas. Des textes en tous genres qui pouvaient relever du journal
intime, du récit épistolaire, de tentatives de
nouvelles qui n'étaient pas destinés à la
lecture d'autrui... mais je n'avais pas encore compris que cela
requérait un certain travail. Et puis un peu avant trente
ans, est arrivé le moment où il était temps
de mettre à l'épreuve de la réalité
ce désir permanent que j'avais. Alors j'ai entrepris un
premier livre, il a été publié et depuis
je n'ai plus arrêté.
-Pourquoi est-ce que vous
écrivez, est-ce que c'est pour quelqu'un?
C'est pour moi, d'abord pour moi, pour l'idée d'un lecteur
imaginaire qui n'existe pas et qui n'est que moi. C'est un plaisir
un peu égoïste avec l'hypothèse que ce plaisir
puisse se confondre avec le plaisir d'autres personnes éventuelles.
Par chance c'est un peu ce qui s'est passé très
progressivement (sourires).
Quant à savoir pourquoi je fais cela, c'est parce que
j'ai l'impression de ne pas savoir faire grand-chose d'autre.
Si j'étais privé de cette activité quotidienne
-sauf ces jours-ci en vacances- que j'ai tous les matins, je
crois que je serais très malheureux.
-C'est un rythme que vous
avez, il y a des heures privilégiées auxquelles
vous vous astreignez?
Je ne m'astreins jamais. Si je travaille tous les matins, ce
n'est pas une question
de discipline, c'est un ordre naturel des choses: je me lève,
je prépare du thé, je prends une douche et j'allume
la machine. Jamais dans la contrainte, seulement quelquefois
dans la difficulté mais toujours dans un sentiment de
nécessité, cela va de soi. Par contre le travail
lui-même ne va pas toujours de soi, je peux passer une
matinée sur une phrase et puis au bout du compte cela
ne va pas. Il y a des moments un peu difficiles comme pour tout
le monde. Je travaille toutes les matinées sauf le dimanche,
parce que le dimanche je ne sais pas pourquoi je n'y arrive pas
et puis dans la deuxième partie de l'après-midi
je reprends un peu, mais il me semble que le travail le plus
efficace se fait le matin.
-Est-ce que l'on peut dire
de vous, comme pour d'autres écrivains, que votre imagination
se nourrit de faits vécus dans votre enfance ou bien à
d'autres périodes de votre existence?
Oui on peut le dire, car il y a tout un stock de mémoire
dans lequel je peux aller chercher des choses volontairement
ou spontanément et en dehors du passé, qui peuvent
revenir. Je passe mon temps aussi de façon tout à
fait naturelle et non volontariste à chercher ou à
attendre que cela se présente, à repérer
des détails, des objets, des bouts de dialogues, des éléments,
des lieux, des personnages, des rencontres qui me paraissent
pertinentes sur le plan romanesque...Quelque fois cela peut être
de fausses bonnes idées aussi.
Même si les romans que j'écris ne sont pas du tout
autobiographiques, cela a à voir forcément avec
l'autobiographie, mais brisée en mille morceaux et reconstituée
dans un autre ordre. J'essaie de me nourrir en permanence, il
y a des choses qui viennent de l'invention et aussi beaucoup
de choses qui viennent de ma vie quotidienne.
-Justement, qu'est-ce qui
vous a influencé pour écrire ce livre là?
Influencé, non. Il se trouve que j'avais publié
il y a 4 ou 5 ans un roman qui se passait en partie en Inde (1), parce que c'est un pays où je me sens
plutôt bien. C'est une forme d'ailleurs qui est très
proliférant en culture, en langue, en sons, en odeurs,
en couleurs, c'est la multiplication généralisée
de tout, l'Inde. J'avais fait cela pour un livre publié
en 1995 et je voulais utiliser l'idée d'un ailleurs qui
soit totalement opposé. Pour celui-ci, je voulais que
l'idée de la prolifération des éléments
soit réduite à un exotisme minimum, c'est-à-dire
qui se réduise au blanc, au froid, donc l'inverse. J'étais
allé faire du repérage en Inde pendant deux mois,
là pour travailler sur les régions polaires arctiques,
je n'avais pas tellement envie d'y aller, pas tellement par frilosité
mais parce que je me suis rendu compte que lorsque l'on va quelque
part, on a du mal à donner du jeu à des réalités
géographiques ou sociales. Donc j'imaginais que je serais
plus libre si j'accumulais tout ce que je pouvais trouver sur
ces régions: livres, films photos, récits de voyageurs,
émissions de télévision même si au
bout du compte il n'en reste pas grand chose d'utilisable.
Le côté "galerie d'art" est parti d'un
mot dans un autre livre : le mot atelier, je voulais qu'il ait
à voir avec un atelier, ça aurait pu être
un artiste ou un photographe mais je n'avais pas envie de travailler
sur un personnage de créateur comme cela, c'est donc devenu
un ex-artiste reconverti dans le commerce de l'art. L'idée
de me documenter à nouveau sur une pratique professionnelle,
sur les rapports des artistes et des galéristes, m'intéressait
et j'ai essayé de me faire une idée aussi générale
et non caricaturiste que possible.
-Est-ce qu'on pourrait
parler des lieux d'ici: la frontière, San Sébastien?
J'ai la chance de venir dans la maison de mon amie Florence Delay
depuis
8 - 9 ans et c'est un pays que je ne connaissais pas et où
j'y ai eu le sentiment comme pour l'Inde que j'y respire plutôt
mieux qu'ailleurs. Le Pays Basque est un pays que j'aime. Il
y a des lieux qui m'ont aussitôt paru présenter
une grande pertinence romanesque, ce n'est pas fréquent
surtout en France...Paris me parait toujours un moteur, un cadre
romanesque... Quand je suis allé pour la première
fois à Saint Sébastien, j'ai eu le sentiment que
c'était un lieu où je ne pouvais que faire quelque
chose, comme pour cette petite ville frontalière qui s'appelle
Béhobie, j'ai eu le sentiment d'une action romanesque
évidente, une rencontre, un travail d'enquête magique
avec certains lieux...des décors qui apparaissent aussitôt
comme il y a des décors de théâtre.
-Comment le personnage
principal a-t-il été campé et puis les autres?
Le personnage principal ne me
ressemble pas du tout, à part qu'il a mon âge et
d'ailleurs je me rends compte qu'au fil des livres, les personnages
principaux ont toujours mon âge. Progressivement, j'avais
sa profession, il a fallu trouver son nom et monter l'histoire
de façon très indirecte, un peu en référence
à l'histoire précédente. J'avais quelques
personnages que je devais animer. Cela se fait très progressivement
au fur et à mesure de versions successives. A mesure,
ils prennent de plus en plus d'acuité et quand j'ai cette
vision assez précise jusqu'au son de leur voix, et bien
c'est que l'ensemble du livre est à peu près fini.
-Les personnages féminins
qui gravitent autour de Ferrer, arrivent, se succèdent...
ont-ils un rapport avec des personnes que vous croisez?
Oui j'avais décidé que ce personnage serait un
séducteur assez malheureux, qu'il ne retire pas un extrême
bonheur de ses conquêtes, un type à la recherche
de rencontres qui ne marchent pas tellement bien. Donc il fallait
inventer des personnages féminins qui se succèdent.
Pour la plupart inventés avec des traits d'amis ou de
personnes croisées: le personnage qui a des Bensons dans
la main gauche et un Ericsson dans la main droite, c'est une
jeune femme que j'avais aperçue lors d'une réunion
mais je ne l'ai vue qu'une heure et à 5 mètres...
comme pour les lieux, elle me paraissait une image utilisable,
sinon les autres sont des personnages d'invention.
-Est-ce que votre vie a
changé depuis que vous avez reçu le prix Goncourt?
Non, ma vie n'a pas changé, sauf sur deux points: Émotionnel,
le prix Goncourt est un phénomène sociologique
assez bizarre qui fait réagir énormément
de monde, cela a fait venir des lettres et des messages très
affectueux venant de toutes sortes de gens, des personnes plus
vues depuis mon enfance, des signes amicaux des gens de mon immeuble,
c'était quelque chose d'assez émouvant.
Je suis maintenant un peu plus libre matériellement pour
travailler (*) et puis je crois que c'est tout ce que cela change.
Sauf une chose un peu curieuse, c'est que cela biaise un peu
les relations que l'on peut avoir avez les gens, mais par chance
je suis entouré d'un premier cercle d'amis extrêmement
restreint; pour eux qui me connaissent depuis longtemps, cela
n'a rien changé et c'est très important. Comme
j'ai une vie sociale assez réduite, je ne suis pas trop
affecté par cela.
(*NDLR à ce jour il s'est vendu 370 000 exemplaires de
son roman primé).
-Cela a changé quelque
chose dans votre travail ?
Après cette histoire de prix, pendant quelques mois, c'est
assez difficile de travailler, on est assez sollicité
et puis on n'a pas la tête à cela, donc il y a eu
une suspension du travail romanesque pendant quelque temps et
puis là depuis un mois, il y a une idée qui commence
à naître, je commence à prendre des notes,
des rendez-vous pour mes enquêtes, je crois que cela va
reprendre et si cela ne reprenait pas je serais tellement malheureux,
ce serait du masochisme.
-Est-ce que vous envisageriez
de faire traduire votre roman en basque si il y avait une demande?
Ah si il y avait une demande, je serais enchanté. Il y
a une dizaine de contrats de traductions en langues étrangères
dont l'espagnol puisqu'un de mes éditeurs étrangers
les plus fidèles est à Barcelone.
(1) Jean Echenoz
Le méridien de Greenwich, 1979 (roman)
Cherokee, 1983 (roman)
L'équipée malaise, 1986 (roman)
L'occupation des sols, 1988
Lac, 1989
Nous trois, 1992 (roman)
Les grandes blondes, 1995 (roman)
Un an, 1997 (roman) |
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(RETOURNER)
Fotografías: Sophie Hontaas
Euskonews & Media 70.zbk (2000
/ 3 / 10-17) |