Marie Jeanne Minaberry est née à Banca en 1926.
Jeune, elle suivit ses parents, qui quittèrent Banca pour s'installer
à Ustaritz, et depuis elle vit dans cette maison familiale. Beaucoup
connaissent ce nom pour avoir entendu ses poèmes chantés
par le groupe Oskorri, lors du spectacle "Marie Jeanne Kanta
Zan". Ce spectacle fit la renommée de cette femme poète
et comme Marie Jeanne l'avoue, "jusque-là personne ne s'intéressait
à mes travaux". Pourtant, depuis longtemps, elle écrit
et publie des contes pour les enfants. Elle commença avec
des poèmes, puis continua avec des sketches pour enfants. Quand
nous lui avons demandé" comment a-t-elle-commencé
à écrire en basque, alors qu'à cette époque, en
Iparralde, la langue française se développait considérablement?
elle n'a pas su nous répondre. Plus exactement, elle nous
a exprimé son incompréhension quand elle voit les
écrivains actuels: "J'entends certains dire qu'ils ont
mal au cœur en écrivant telle ou telle chose". Mais, pour
Marie Jeanne, tout ce que l'on écrit sort du cœur. Le premier
sentiment que l'on a, lorsqu' on rencontre Marie Jeanne pour la
première fois, est qu'on est en face d'une personne d'une grande
simplicité. "Certains écrivent pour des gens, d'un
niveau socialement supérieur, moi, j'ai toujours travaillé
pour des gens humbles" en donnant tout mon cœur et mon esprit
au travail.
Marie Jeanne vit seule, aujourd'hui, dans la maison familiale,
sur les hauteurs d'Ustaritz. Elle s'inspire, des événements
de la vie et des images de son environnement. Parmi les œuvres
qu'elle a écrit pour enfants, on trouve: Mokhor bat
eta Mokhor bi (1965), Begietakoa, Joanez Zirtzil, Manexen
Nahigabeak, Auzitegian, Marikilkitaren otoitza, Eri haundia, Eñaut
eta sagutxo.
En 1982, elle eut le prix du théâtre Toribio Altzaga. Elle publia en même temps trois disques Agur Maria, Anjelus eta Kanta Zan. En dehors de ces ouvrages nous aurions de quoi dire sur la vie de cette dame de 76 ans. Elle débuta comme secrétaire à la mairie de Banca, puis continua dans les journaux comme secrétaire, et même journaliste. A ceci, il faut ajouter les travaux de traduction, et de radiodiffusion. Elle connut la plupart des intellectuels basques de l'époque: Michel Labéguerie, Jean Haritschelhar, Lafitte...
- Vous êtes née à Banca, puis vous êtes venue vivre à Ustaritz... Je travaillais à la mairie de Banca comme secrétaire. Puis, mes parents firent construire cette maison à Ustaritz, je les avais suivis et depuis j'habite ici. Puis, je fis des études pendant deux ans à St Louis de Gonzague. Mais, comme l'enseignement ne me plaisait pas, grâce à l'abbé Epherre, j'étais entrée au journal Basque Eclair comme secrétaire et pendant quinze ans, je fis du secrétariat. Puis de ce quotidien, j'étais passée au Sud-Ouest.
-
C'est à Banca que vous avez commencé à écrire des
poésies, des contes, des chants. Votre parcours est plutôt
spécial. Qu'est-ce-qui vous a motivé pour travailler
dans tant de domaines?
Je ne sais pas exactement, ce que je sais c'est quand j'ai débuté.
J'ai perdu un ami, à l'âge de 20 ans, et ce décès provoqua
en moi l'envie d'exprimer mes sentiments. A vrai dire, à l'époque,
je ne savais pas qu'on pouvait écrire en basque, mais j'avais
commencé à écrire en euskara. Je me souviens que
c'est à partir de ce sentiment que j'écrivis la première
phrase: "l'enfant d'une mère, enfant unique chéri, mon
ami". Je ne savais même pas s'il y avait des règles pour écrire
des poèmes. Quand j'avais tapé à la machine la thèse de
Hartischelhar, j'avais déjà quarante ans lorsque je m'étais
rendu compte que la littérature basque existait, qu'il
y avait des règles pour écrire des poèmes.... Je fus étonnée
lorsque je me rendis compte que tous ces détails existaient.
Ma façon d'écrire, par exemple "l'enfant d'une mère"
n'est pas dans les normes de la littérature basque.
- Comment avez-vous appris à écrire en basque? Je ne sais pas comment. J'ai toujours eu le Pays Basque au fond de mon cœur, mais je ne savais pas que la littérature basque existait.
- Quand vous avez commencé à écrire, aviez-vous un but précis? Non. Je ne sais pas pourquoi mais j'étais inspirée. Puis, j'ai commencé à y réfléchir, parce qu'on me posait souvent cette question. D'après moi, j'ai commencé à écrire quand j'ai ressenti quelque chose de fort en moi. Mais pas pour partager quelque chose avec les autres, plutôt pour me libérer l'esprit. J'écrivais les poèmes pour moi. Le fil conducteur était l'amour. Pourquoi ai-je fait certaines choses, par amour. D'après moi, les travaux valables que je fis ont été avec Haize Garbia. Mais personne ne les a continués. Pourquoi ces travaux sont-ils pour moi, les plus valables?
Haize Berri publiait une revue où mes poèmes et des exercices pour les
écoliers étaient publiés. Ainsi, les écoliers
avaient l'occasion d'apprendre la grammaire, l'imparfait, le présent.
D'après moi, c'était quelque chose de nouveau pour les
écoles. Alors, je me rendis compte que rien n'était
fait pour l'enseignement du basque. Avec les élèves, je
participai à des expériences pédagogiques. Alors,
j'ai commencé à publier, pas pour moi, mais pour rendre
service aux enseignants. Les enseignants d'école peuvent
témoigner, car heureusement qu'ils avaient mes écrits;
ils n'avaient pas d'autres matériels pour enseigner aux
enfants.
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- Vous avez eu un itinéraire spécial: commencer avec la poésie, puis écrire des contes, des exercices pédagogiques pour les enfants... Quand j'avais commencé à travailler au journal Basque Eclair, j'entrai dans le monde basque et là je connus le chanoine Epherre, académicien basque. En même temps, je découvris les revues Herria et Gure Herria. Mais, moi, je n'ai jamais fait de travail de haut niveau. Par exemple, je travaillais pour la Journée de l'Eskuara. On organisait une quête dans les villages pour la Journée de l'Eskuara. On confectionnait des rubans à Biarritz et je les expédiais dans des petits paquets. L'argent récolté, servait à financer les actions en faveur de l'euskara. On célébrait la journée des bascophones. Je travaillais alors avec Michel Labéguerie que j'ai très bien connu. Il est vrai, qu'alors j'étais ignorante en langue basque. Puis, j'ai changé d'attitude, quand je me suis rendu compte que rien n'était fait pour encourager la langue basque dans les écoles. Alors, je publiai Xori Kantari et d'autres ouvrages pédagogiques.
- Pourtant vous parliez en basque avec vos parents. Non, moitié basque, moitié français. Notre première langue était le basque, mais dès qu'on partait à l'extérieur du village pour faire des études, nous parlions français entre nous. Si vous aviez connu ce que j'ai vu et ce que je vois actuellement, je suis ahurie. A cette époque, le basque ne valait rien. Personne ne s'intéressait à l'euskara. Ils le parlaient parce que c'était ainsi, naturel, mais au village, dans la rue, les enfants ne le parlaient pas.
- Vos parents comment appréciaient-ils vos écrits en basque? Je ne leur montrais rien. Ils ne savaient pas ce que je faisais sauf quand Xori Kantari fut publié. Longtemps, je suis restée sans rien leur dire.
-
Vous avez quand même choisi d'écrire en basque.
Pourtant j'écrivais bien, aussi en français. Pour
écrire en basque, j'ai fait longtemps beaucoup d'efforts.
Aujourd'hui quand je suis devant un texte, en basque ou en français,
je vais lire en premier, en français, parce que je n'ai
pas l'habitude de lire en basque. Je ne lis pas en basque, sauf
exceptionnellement. Je n'ai jamais su. Tout ce que j'ai fait,
je l'ai fait par amour, par cœur ou par bonheur. Mon père parlait
un bon basque. Nous avions un bon niveau de basque mais par exemple
si on nous parlait en basque, nous répondions en français.
- Maintenant vos ouvrages sont connus, par exemple vouas avez eu le prix de l'Académie Basque... Mon succès vient d'Oskorri. La clé vient de là. Je n'ai pas changé pour autant, je reste ce que je suis, mais dans la tête des gens, quelque chose a changé.
- Comment avez-vous vécu le spectacle Marie Jeanne Kanta Zan. Quand j'ai vu le spectacle, je l'ai trouvé extraordinaire. A vrai dire, un tel spectacle ne m' a pas laissée indifférente. C'est pareil aujourd'hui et demain. Demain a eu une force que n'a pas le passé, mais ce n'est pas vrai. Moi, je suis la même personne qu'avant le spectacle d'Oskorri.
- Les conditions de vie à
Banca ont eu de l'influence dans votre œuvre?
Pas du tout. Quand nous avions construit la maison, mon père ne
voulait pas venir à Ustaritz et moi non plus. Ma mère voulait
partir. Un jour, elle nous avait dit, si vous voulez rester à
Banca, restez, mais moi je pars à Ustaritz et alors nous étions
tous partis avec elle. Depuis, je ne suis jamais retournée
à Banca. Je n'avais pas le cœur d'y aller. Peut-être, que j'irai
maintenant. Nous n'avions pas de famille là-bas. Nous étions
quatre sœurs, l'une est décédée et toutes
nous parlions basque. Mais, nous avions du mal à exprimer une
idée, un sentiment profond en basque. C'était très
difficile pour nous et même si j'écrivais en basque, je
pensais en français ce que j'écrivais en basque.
La première phrase venait en basque et ainsi j'avais le rythme
pour écrire, mais pour continuer ce n'était pas
facile. Dans mes œuvres, on peut voir ce que j'ai écrit
en basque et ce que j'ai traduit du français.
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- Vous aviez lu la thèse d'Haritschelhar. Vous aviez appris alors... Je m'étais rendu compte alors, qu'il y avait une littérature basque, des normes. Jusque là, je ne savais rien. Quand j'avais commencé à écrire je ne savais pas ce qui était juste et ce qui était faux. Et je n'ai trouvé personne pour me corriger. J'avais demandé au chanoine Lafitte, à Dassance et à d'autres, mais ils ne me donnaient pas de réponse. C'est pour cela que j'envoyais mes cahiers à l'Eskual Etxea à Paris. Là-bas, il y avait Leizaola, le père Chabagno et Ibarrondo et de là j'ai eu une seule réponse. Quand je faisais des fautes, ils me les corrigeaient et je leur retournais les textes à nouveau. Je suis très contente parce que j'ai gardé une lettre de Leizaola et je me souviens qu'il m'avait dit que j'avais beaucoup de rythme et que pour lui, c'était le plus important. Dans ma façon d'écrire ce qui est le plus important, c'est le cœur, le rythme.
- Par rapport à ce temps-là, vous avez évolué... Je crois que j'ai toujours eu cinq ou dix ans d'avance. J'avais essayé de développer l'audiovisuel mais personne ne m'a suivi. J'avais commencé à traduire les textes illustrant les plus belles photos de Paris Match. Une enseignante les avait utilisées pour ses cours et là ils s'étaient rendu compte que l'on pouvait faire quelque chose avec le basque. Ce fut le premier pas, mais personne ne continua cette initiative. Puis avec les écoles, il se produisit la même chose. Pour Haize Garbia, j'achetais toutes les parutions de Nathan et là je prenais les poèmes et je les traduisais en basque mais c'était trop tôt. Alors, je croyais que l'audiovisuel était la solution. Avec le temps, je m'étais rendu compte que ce n'était pas important, l'audiovisuel passe, et l'écrit reste. Alors qu'aujourd'hui, ils sont complètement absorbés par l'image et le son.
Marie-Jeanne
Minaberry, "andereño", "Atalki", journaliste,
auteur de contes et membre d'honneur de l'Académie
Basque
Née à Banca, près de St-Etienne-de-Baigorry,
le 26 septembre 1926. Secrétaire de mairie à
Banca. Enseignante à St-Louis-de-Gonzague. Secrétaire
du journal Basque-Eclair. A l'âge de 28 ans,
elle commença à écrire. La plupart de ses ouvrages
sont publiés dans Herria, Gure Herria, Almanaka,
Pan-Pin. Lauréate de plusieurs prix de poésie.
Au début, elle publia des poésies mais plus
tard elle écrivit essentiellement des saynètes
pour enfants. Parmi ceux-là, on trouve : Mokhor
bat eta mokhor bi (1965), Begietakoa,
Joanez Zirtzil, Manexen nahigabeak, Auzitegian,
Marikilkitaren otoitza, Eri Haundia, Abereen
eguberri eta Eñaut eta saguxo. En
1983, elle fit un recueil de ses saynètes et
les publia dans la collection Haur Antzerkia.
Elle travailla aussi pour la radio et sortit
3 disques: Euskal Herriaren Eguberri, Agur
Maria, Anjelus eta Kanta zan, Marijan (CD).
Elle collabora avec l'association Haize Garbia.
Elle fit la traduction de Euskara Irrati
bidez de Ion Oñatibia, Xuri , Gorri eta
Kirriki. de Manuel Lekuona En 1982, elle
reçut le prix Toribio Altzaga pour son œuvre
Haur Antzerki et en 1993 elle écrivit
pour la revue Antzerkia Ikastetxean .
Le 24 avril 1998, elle fut nommée membre d'honneur
de l'Académie Basque. Elle vit dans la maison
Atalkiena à Ustaritz.
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Ainize Butron
Photos: Ainize Butron
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