Jesus Etxebarria

Portrait du sculpteur basque par sa femme Maielen Gastigard

"Jesus sculpteur de la lumière"

Robert Scarcia
Photos: Aurelia Arkotxa
Itzulpena euskaraz

Jesus Etxebarria a récemment gagné le prix de la ville de Bayonne et d’Eusko Ikaskuntza, la Société d’Etudes Basques, pour l’ensemble de son oeuvre. Marie-Hélène Gastigard, « Maielen », sa femme et complice de toute une vie, a beaucoup compté dans cet itinéraire artistique. Dépositaire aujourd’hui plus que jamais de la mémoire de Jesus Etxebarria après l’opération médicale qu’il a subie il y a quelque temps, elle nous livre ici un touchant témoignage au sujet de l’artiste. D’emblée elle fait remarquer que le parcours artistique de Jesus Etxebarria est intimement lié à son époque, une période difficile et tragique de l’histoire du Pays Basque et de l’Europe.

Quelles expériences déterminent l’œuvre de sculpteur de Jesus Etxebarria ?

A mon avis, c’est dans l’enfance et l’adolescence de Jesus Etxebarria qu’il faut chercher les facteurs déterminants de son œuvre de sculpteur. Je vois l’intervention de deux facteurs majeurs dans sa formation d’artiste : celle de la nature qui se croise avec l’architecture et celle de la famille qui se croise avec le contexte politique de l’époque.

Un double apport …

Jesus est né à Barambio, un village rural de l’Alava, à mi-chemin entre Bilbao et Vitoria. « A deux heures de marche de la croix du Mont Gorbea », comme le souligne Jesus en personne avec la certitude de celui qui a fait le parcours « d’un bon pas ». Or cette région frontalière située entre les deux provinces basques de la Biscaye et de l’Alava est également une frontière naturelle où le monde atlantique va à la rencontre de la Meseta espagnole. Un endroit où le climat humide du littoral cantabrique se trouve en présence de la sécheresse des plaines de Castille, où la couleur verte se fond avec des teintes plus arides. Ce contact du Pays Basque avec l’intérieur des terres d’Espagne se fait sentir également au niveau architectural. A Vitoria-Gasteiz et ailleurs, Jesus a connu les églises romanes avec leurs beaux chapiteaux et l’obscurité recueillie de leur intérieur, obscurité visitée par le rais de lumière oblique coulant des étroits vitraux.

Il ne faut pas oublier que le père de Jesus était tailleur de pierres. Jesus a toujours dit que son père donnait une âme à tout ce qu’il façonnait. Déjà tout petit Jesus trouvait de la beauté dans le travail de son père. La mère était exceptionnellement dévouée et aimante et l’on observe que le thème de la maternité est récurrent chez le sculpteur.

Mais l’influence de la famille va bien au-delà de celle du père et de la mère. Le cousin José Uruñuela, musicien, compositeur et ami personnel de Ravel a eu un rôle important. M. Uruñuela était un homme d’une culture littéraire et historique étonnante. Il est certainement à la base de la passion de Jesus pour la musique, la littérature et l’histoire médiévale en particulier. Uruñuela était également l’un des traits d’union vivants entre la famille de Jesus et la politique de ces années-là. Des personnalités du Parti Nationaliste Basque de l’époque, attirées par Uruñuela, venaient de Bilbao et d’ailleurs. Les idées nationalistes largement partagées par les parents de Jesus, ont marqué des choix et ont signé le parcours biographique de l’homme et de l’artiste.

Les choix républicains et nationalistes basques de Jesus ont vite été rattrapés par l’histoire. En 1936 éclate la guerre civile espagnole et Jesus entre dans le bataillon Alava, l’une des unités militaires du gouvernement basque du lehendakari Aguirre, fidèle à la légitimité de la République espagnole et à la nouvelle autonomie du Pays Basque. On voit dans ce choix fait par Jesus Etxebarria à 20 ans, l’enthousiasme du gudari basque volontaire, prêt à tout sacrifier pour la liberté d’Euskadi. En 1937, avec la reddition des Basques à Santoña commence une autre étape, celle de la captivité sous les franquistes, ce qui veut dire le passage par de nombreuses prisons d’Espagne, le bataillon disciplinaire en Afrique du Nord, suivi par une période de confinement à Barcelone chez la famille de l’un de ses camarades de captivité qui avait perdu un bras et avec qui Jesus partageait les rations de nourriture en prison.

Le rappel de ces faits est important puisque quelque part nous parlons d’un homme confronté à la défaite… Un homme resté sans formation, sans situation, sans travail, limité dans sa liberté… Ceci dit, je pense malgré tout que cette période noire a été positive elle aussi pour l’éclosion du sculpteur, puisqu’elle a façonné l’artiste à venir.

Suite à votre rencontre, Marie-Hélène Gastigard, comment se façonne donc la carrière de sculpteur de votre mari ?

Jesus a toujours été passionné par l’histoire. Il était véritablement fasciné par l’histoire médiévale et moi j’étudiais la littérature espagnole. En tant que couple nous nous sommes mis à préparer les concours : CAPES d’espagnol, puis plus tard Agrégation, passages obligatoires pour accéder à l’enseignement. Dans les programmes des concours figuraient l’épopée du Mío Cid, le Romancero, le Lazarillo de Tormes, l’archiprêtre de Hita, las serranillas, etc. Et c’est alors que surgit chez Jesus le besoin impérieux d’exprimer l’émerveillement dans le bois, la pierre, la terre.

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Marie Hélène.

Ainsi naquirent les onze pièces du Cantar de Mío Cid et un nombre impressionnant de personnages sculptés : « le changeur du Moyen Age », « le forgeron forgeant Durandal », « l’alchimiste », « Thérèse d’Avila écrivant le livre de sa vie », « Guzman el Bueno », « el domine Cabra », « la reine Margot », « Boabdil le dernier prince maure de Grenade », « les neiges d’Antan, « Tristan et Yseult », etc. etc. »

Toujours grâce à la littérature, mais inspirés par Lorca cette fois, “La monja gitana », « El romance de la pena negra »… En même temps, parfois avec un clin d’oeil à l’enfance sont nés les «Maternités », « La femme au marché »…

Pourquoi le Cantar del Mío Cid…

Dans le Cantar del Mío Cid Jesus choisira d’interpréter l’exil du Cid en trois pièces, « Les adieux à Chimène… ». Le héros est comme désacralisé, traité avec humour et humilité. Peut-être est-ce l’influence de la défaite ? De même que la pièce qui évoque Don Quichotte est « La folie guerrière»…

Vous mentionniez la musique comme élément important dans la formation du sculpteur. Comment le façonne-t-elle ?

Outre son cousin José, Jesus avait d’autres amis comme Roger Pékar avec qui il passait beaucoup de temps à écouter, à analyser, à savourer Stravinski, Debussy, Ravel, Falla Boulez et Bach bien sûr. La musique inspire Jesus et le pousse à sculpter. C’est ainsi que sont nés les onze pièces de « Sacre du Printemps » et « L’oiseau de Feu». De l’écoute de Boulez est né « le marteau sans maître » ; de l’écoute de Débussy : « L’après-midi d’un faune » ; de Falla : « La danse du feu » ; de Ravel : « L’hommage à Ravel » et « La harpe du vent » ; de Bach : « L’hommage à Bach » et cette pièce en lames vibrantes qu’il intitule « La musique ».

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Jesus Etxebarria.

Et par rapport à d’autres formes d’art ?

Jesus a eu quelques contacts avec des sculpteurs et des peintres. Par le biais de Philippe Comte qui lui permit de faire plusieurs expositions au musée de Pau, puis à Beaubourg – il visite l’atelier de Sthaly et celui d’Andréou Otani. Il découvre Giacometti, Brancusi, Di Teana, le japonais Otani. Il rencontre Oteiza, fait partie du groupe Gaur, expose à Vitoria. Il voit souvent les peintres Rambré, Casama, Laffargue.

Il réagit parfois avec humour et comme à contre courant à l'esprit du temps. Par exemple en 1968 lorsqu'il réalise une pièce qu'il appelle "Charlemagne ou la soif d'apprendre". Il représente l'empereur tout puissant comme un élève humble buvant émerveillé les paroles de son professeur. Clin d'œil peut-être aux bouleversements des relations de force dans l'ordre social.

Pourquoi se réfèrent-on souvent à Jesus comme au « sculpteur de la lumière » ?

Le culte du volume compact a cédé la place à la recherche de la lumière. Naissent les spirales qui sont autant de pièges à lumière. La matière environne, emprisonne et enlace la lumière. Mais cette étape artistique se caractérise également par d’autres inspirations. Jesus est captivé par la Bible, les récits de la Genèse le font rêver aux origines. Naissent : « L’esprit de Dieu sur les eaux », « La terre était uniforme et vide », « Le ciel et la terre », « Le jour et la nuit », « La naissance des oiseaux », « La germination », «Adam et Eve », «Le typhon »… Œuvres au style dépouillé, ascétique, souvent réduit au geste symbolique, à la courbe suggestive, à une ondulation, à la superposition de deux masses abruptes…

La création des luminaires : soleil, lune, étoile, lui permet d’expérimenter son obsession : creuser la matière, faire que la lumière la traverse, qu’elle filtre à travers la matière. Il va plus loin encore avec « Matière et lumière de pierre creusée en son milieu », stèle qui, bien disposée par sa pente, laisse passer un rayon solaire à toute heure du jour, de l’aube au crépuscule. Et plus loin encore avec « Le château intérieur », réceptacle de lumière dont les parois ajourées laissent passer la clarté qu’elles contiennent.

Et ces rêves jamais réalisés mais jamais abandonnés que sont : « Le puits de lumière », « Le temple de lumière », afin de sculpter encore mieux la lumière, de jouer avec l’intangible.

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Robert Scarcia et Jesus Etxebarria.

Dans la pratique, comment travaille Jesus ?

Il ne réalise jamais un dessin préalable, jamais de maquette. Le sujet qu’il veut exprimer dans le bois ou la pierre s’organise dans sa tête. Il le vit, l’ordonne en lui-même et attaque directement les grosses poutres de chêne qu’il a récupérées dans des fermes démolies ou rénovées.

Un petit pas en arrière, comment vous êtes-vous connus Jesus et vous, Maielen ?

J'ai vu Jesus pour la première fois chez Don Pio Montoya. Là il y avait un groupe de réfugiés, les Rezola entre autres. L'abbé Montoya avait loué une villa. L’ambiance qui y régnait était extraordinaire. Il est vrai que Don Pio trouvait Jesus un peu subversif…

Le père de Jésus s’était établi au bas Cambo avec son épouse, sa fille et quelques réfugiés. Puis vint le décret d’Ibarnegaray. Les réfugiés basques furent envoyés au camp de Gurs, avec eux le père de Jesus. La maman de Jesus et sa sœur sont restées toutes seules. J’ai demandé des leçons d’espagnol à la sœur de Jesus, Aurea, et c’est ainsi que je suis entrée en contact avec la famille. Le père a réussi à s’évader deux fois, la première fois il fut repris par les chiens policiers à Oloron. Puis il comprit que la seule façon de sortir de là était de participer comme volontaire aux travaux du mur de l’Atlantique que faisaient les Allemands… C’est ainsi qu’il put s’échapper jusqu’à Poitiers et rejoindre par la suite sa famille en secret. La mère de Jesus était malade, elle voyait Jesus partout, et elle souffrait.

Quelles relations Jesus Etxebarria a-t-il eues avec les autres sculpteurs basques ?

Je suppose qu’il admire les grands sculpteurs d’Hegoalde, il estime qu’ils ont renouvelé la sculpture et ont donné une aura universelle au Pays Basque d’aujourd’hui. Il partage leur quête de la lumière, le culte du vide d’Oteiza, avec qui il a eu quelques contacts, l’interpelle. Il n’a jamais rencontré Chillida. Jesus a visité sa fondation en 2003. Je me souviens d’une rencontre avec Basterretxea à Ostabat en 2000. Ainsi que je l’ai déjà dit, il a fait partie du groupe Gaur et a exposé à Gasteiz avec Amable, Mendiburu, Ortiz de Elguea d’abord, puis seul. Le groupe se dispersa très vite. En Iparralde, il a été en contact avec Giraud, les frères Lasserre, Laurendeau de Juniac.

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Robert Scarcia et Jesus Etxebarria.

Quelles sont, à votre avis, les influences artistiques les plus importantes ?

L’art roman, sans doute, et la statuaire égyptienne ont été et restent les objets de son admiration. Giacometti, Brancusi, Sthaly l’ont également beaucoup intéressé.

Jesus est un autodidacte, sans formation préalable. Les circonstances de son existence l’ont amené fatalement à exprimer la richesse poétique qui était en lui. Jesus l’autodidacte a travaillé seul loin des grands mouvements, des courants et des modes. En une quarantaine d’années, un demi-siècle environ, j’ai la certitude qu’il a parcouru les grandes étapes de la sculpture, de l’imagerie à l’abstraction, de la matière à l’immatériel.

Flashs de Jesus Etxebarria :

… la guerre : « Je crois que la ville s’appelait Villareal, nous dans le bataillon Alava, nous voulions reprendre Vitoria tombée dans les mains des franquistes dès le début de la guerre et ce village au bord d’une rivière était au milieu. Certains de nos camarades ont essayé de passer la rivière à gué… Il y avait un nid de mitrailleuses franquistes caché dans le clocher de l’église. De cette manière, ils pouvaient dominer le terrain... Tous les nôtres qui étaient déjà dans l’eau se sont faits massacrer… Puis la retraite vers le nord et la résistance à Otxandiano pour protéger la Biscaye. Nous n’avions pas de moyens militaires, eux ils ne manquaient de rien, appuyés comme ils l’étaient par les Allemands et les Italiens ».

… le peloton d’exécution : « Un jour, j’ai été appelé avec un groupe de prisonniers… Ils voulaient nous fusiller. Puis vint l’ordre de me ramener dans la cellule. Les autres furent fusillés… Et je ne sais toujours pas, je n’ai jamais su qui a donné cet ordre qui m’épargna la vie… »

… la prison : « Je n’étais pas malheureux en prison, on s’habitue, on s’y fait des amis. J’écrivais et je lisais, je passais le temps avec les copains. Je lisais des « histoires vivantes », les romans historiques... Je devais faire la lecture à voix haute aux autres prisonniers. On m’avait donné la responsabilité de la bibliothèque de la prison… »

… les jeux : « à Tolède, dans les bataillons disciplinaires, je me souviens du Château de San Servando, du coté du Tage. »

… la gym : « Ils nous faisaient faire de la gym à Tolède, et tout se réduisait à deux ordres « abran pies », « cierren pies », dans la Plaza de Toros. »

… la valise : « J’ai fait le voyage pour voir ma mère mourante à Paris pendant la guerre. A l’arrivée, j’ai pris la première valise au-dessus de moi puis je me suis aperçu que je m’étais trompé de valise… A l’intérieur, il y avait des documents allemands concernant les Juifs. Des adresses, et d’autres infos destinées à la gestapo. J’ai montré la valise à un juif qui se cachait à Paris, il m’a remercié en me disant que j’avais sauvé plusieurs vies. Il m’a demandé d’écrire à son frère qui était à New York, ce que j’ai fait dès que j’ai pu rentrer à nouveau en Espagne. Il me semble qu’il s’appelait Jovanovici… Quelques temps après, j’ai reçu une lettre de New York où cet homme me remerciait de lui avoir dit que son frère était vivant. Il m’a aussi proposé du travail dans ses entreprises au cas où je souhaitais partir en Amérique… »

… ma sœur : « Aurea était très belle, ma femme me disait qu’elle lui rappelait “ la beauté noire de Baudelaire ”. Elle s’est mise à chercher du travail et elle est allée à Bayonne. Sous les arcades, elle s’est mise à regarder des bijoux dans un magasin. Puis elle voit sur la vitre un visage au dessus du sien. Elle le reconnaît, c’est Tomás, un cousin d’Irun, marié à Mme Rementeria la plus grande championne de pelote de l'époque. Tomás était à Paris, il y avait monté un restaurant au Faubourg St Honoré et il cherchait une gérante. C’est ainsi qu’elle est partie à Paris…»

… Barambio : « Cest le dernier village de l’Alava, et ensuite, de l’autre côté de la montagne, il y a Orozko, le premier village de la Biscaye. Et cette chanson : ya me voy, ya me voy yendo al pueblo donde nací… »

… la révolte : « L’expérience du combattant, ce que ça donne ? Un révolté. »

… la lumière et l’ombre : « ni le plein jour ni la nuit profonde. J'aime la lumière filtrante, le rais de lumière qui traverse la nuit, révèle les ténèbres, sculpte les ténèbres, est sculpté par elles »

Jesus Etxebarria

Jesus Etxebarria est né en 1916 à Barambio, Alava. Il a été combattant nationaliste basque dans le Bataillon Alava pendant la guerre civile espagnole. Prisonnier de guerre sous Franco pendant plusieurs années, il a ensuite rejoint sa famille réfugiée en Iparralde. Après la guerre il rencontre son épouse Maielen Gastigard et il commence à sculpter le bois.
Jesus Etxebarria a gagné récemment le prix de la ville de Bayonne et d’Eusko Ikaskuntza.

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