Le dialecte basque souletin se distingue des autres dialectes par des différences phonologiques importantes. En effet, il comporte, notamment, en plus des traits phonologiques communs aux autres dialectes, une sixième voyelle /y/, des voyelles nasales, une seule vibrante, et des consonnes aspirées. Celles-ci, -aussi contenues dans d’autres variétés dialectales du Bas-Navarrais, mais d’une manière beaucoup moins fréquente et systématique qu’en souletin- forment pour ainsi dire, une troisième classe d’occlusives (après les occlusives non aspirées sourdes et sonores p, t, k, b, d, g), dans le système phonique du souletin.
Altzürukü, Zuberoa. Photo: Ainhoa Arozamena |
On trouve ces consonnes en début de mot, entre voyelles, en syllabe accentuée ou non accentuée, et même en fin de mot. Cependant on ne peut pas dire à l’avance si une occlusive sourde sera aspirée, ou non, car l’aspirée apparaît, toujours dans les mêmes mots dans une même variante dialectale. On l’aura compris son emploi varie d’une région de la Soule à une autre voire d’un village à un autre.
Ceci étant, on s’est souvent demandé si ces consonnes étaient des phonèmes ou de simples variantes allophones de la non-aspirée (Mitxelena, Lafon…). Quoi qu’il en soit, seules les idées émises par Mitxelena sur leur apparition semblent être acceptées par la majorité des bascologues. Celui-ci propose que ces occlusives aspirées sont nées dans des conditions accentuelles spéciales, ce qui met en étroite relation l’aspiration et l’accent. Quant aux travaux de description acoustique, Gaminde, Salaberria et Hualde (2003) ont effectué en Basse Soule une recherche sur les trois sortes d’occlusives du souletin, en début de mot et en syllabe accentuée, et ont comparé leurs résultats avec ceux de quelques langues de monde.
Le travail de recherche que je présente aujourd’hui s’intitule ‘Occlusives du Souletin : étude acoustique’, et vise principalement à étudier les occlusives du basque souletin de Larrau (dernier village de la Haute Soule) en début de mot, en syllabe accentuée et non accentuée.
Haux, Zuberoa. Photo: Ainhoa Arozamena |
J’ai donc pour cela, procédé à la préparation d’un questionnaire, puis enregistré quatre parlants, natifs du village précité. Ensuite, j’ai mesuré le trait acoustique des occlusives relevé par Abramson et Lisker en 1964, le Voice Onset Time, ou VOT.
Mon premier objectif était d’étudier les trois classes d’occlusives, aspirées sourdes ph, th, kh ; et non aspirées sourdes, p, t, k, et sonores, b, d, g. Hélas, les sonores enregistrées étant quasiment fricatives, j’ai dû renoncer à les analyser, et me limiter à l’étude des occlusives sourdes aspirées et non aspirées. Ensuite, je désirais, aller plus loin que Gaminde, Salaberria et Hualde (2003), et étudier ces occlusives en syllabe accentuée et non accentuée afin de voir quelle était l’action de l’accent dans leur réalisation phonétique.
Les statistiques tirées des mesures effectuées montrent que le basque souletin possède bien deux sortes d’occlusives sourdes : l’aspirée et la non-aspirée qui se différencient dans la durée de leur Voice Onset Time. En effet, si l’on compare les deux occlusives, on observe clairement que l’intervalle entre l’explosion, ou la libération de l’air et l’apparition des premières vibrations de la voyelle est plus longue lorsqu’il s’agit d’une occlusive aspirée, que d’une non aspirée (voir annexe IX. 2.). Cependant, on a vu que dans certains cas, et ce chez nos quatre parlants, les aspirées et non aspirées avaient des durées de VOT très semblables. Ceci montre, selon nous, que dans certains cas, le trait acoustique proposé par Lisker eta Abramson (1964) ne suffit pas toujours à différencier ces deux types d’occlusives. Selon des données que Francisco Toreira de l’université de l’Illinois nous a communiquées, il semblerait que le dialecte andalou de l’espagnol observe des cas similaires. Reste maintenant à approfondir nos recherches afin de déterminer ce qui, dans ces cas, différencie l’aspirée de la non aspirée.
Lohitzun, Zuberoa. Photo: Mikel Garikoitz Estornés |
Ensuite lorsque l’on se concentre sur chaque sorte d’occlusive, on voit clairement que, comme dans la majorité des langues du monde, ce sont tout d’abord les vélaires, et ensuite les dentales qui ont le VOT plus long : vélaires > dentales > labiales.
De plus, la comparaison de ces consonnes en syllabe accentuée et non accentuée a montré que leur réalisation phonétique (et plus spécifiquement la durée du VOT) est quasiment la même dans les deux contextes. Ceci nous intéresse plus particulièrement dans la mesure où en anglais, l’apparition de l’aspiration est dépendante de l’accent. La réalisation phonétique de l’occlusive non aspirée en aspirée ne se produit que lorsque la consonne est placée en syllabe accentuée. De plus, ceci nous montre que, si l’on en croit Mitxelena, les occlusives aspirées du basque sont apparues en contexte accentué, l’aspiration n’est, aujourd’hui, plus étroitement liée à l’accent.
Si l’on compare nos résultats à d’autres travaux de recherche, et tout d’abord, avec la recherche acoustique précitée, de Gaminde, Salaberria, Hualde (2002) en Basse Soule, on voit que la durée moyenne de leurs aspirées (ph 61 ms, th 67 ms, kh 83 ms) est plus longue que celle des nôtres (ph 47 ms, th 52 ms, kh 71 ms). Quant aux non aspirées, elles sont également un peu plus longues en Basse Soule (p 20ms, t 24ms) qu’en Haute Soule (p 13ms, t 19ms) ou égales (k 27 ms, dans les deux régions). Cependant, nous pensons fortement qu’il est trop tôt pour affirmer avec certitude que les différences observées révèlent des différences sous dialectales. Il se pourrait fortement qu’elles soient dues à une façon différente de travailler et surtout de procéder aux mesures du VOT.
Ordiarp, Zuberoa. Photo: Mikel Garikoitz Estornés |
Ensuite, lorsque l’on observe d’autres langues, et plus particulièrement l’arménien de l’est et le thaïlandais qui eux aussi ont trois sortes d’occlusives, on observe que les occlusives aspirées du souletin sont beaucoup moins aspirées que celles de ces deux langues. Par contre, les non aspirées semblent avoir une durée moyenne de VOT plus longue en souletin, ce qui donne à conclure que dans ces deux langues la différence entre les deux sortes d’occlusives, en terme de VOT, est plus grande qu’en souletin. La comparaison des occlusives sourdes non aspirées du souletin avec celles du français révèle une durée moyenne de VOT beaucoup plus importante en souletin qu’en français. En effet, alors que le français a une durée moyenne comprise entre 0 et 2 ms (toutes occlusives confondues), en souletin cette moyenne est comprise entre 14 et 28 ms.
Seulement, comme nous l’avons observé maintes fois dans notre travail, si les données de tous les parlants prises ensemble nous offrent des résultats significatifs, ce n’est pas souvent le cas lorsqu’on les étudie à part. D’autre part, nous avons plus de problèmes avec les aspirées qu’avec les non aspirées : dans le second cas nos données sont plus significatives et l’on observe une même tendance dans les données de trois parlants sur quatre. En revanche, dans le cas des non aspirées la situation est beaucoup plus chaotique : les données sont changeantes d’un parlant à l’autre et même chez un même parlant, et nous observons trois groupes de tendances différentes. Sans aucun doute cela montre que ces occlusives aspirées sont beaucoup plus ‘souples’, et variables que les aspirées. Maintenant reste à savoir si ces résultats ne sont pas liés à un défaut méthodologique. En effet, au moment des enregistrements je n’avais donné aucune consigne aux parlants sur la vitesse à laquelle ils devaient parler. Ceci peut être à l’origine des variations dans la réalisation acoustique des occlusives aspirées, puisque, chaque parlant a une vitesse d’élocution différente, et sur un long questionnaire prononce certains mots avec plus d’emphase que d’autres.
Lichans, Zuberoa. Photo: Ainhoa Arozamena |
Pour terminer, nous pouvons affirmer que ce travail nous ouvre beaucoup de pistes sur de prochains travaux de recherches. Tout d’abord, il faudrait réaliser une recherche similaire avec beaucoup plus de parlants et de mots enregistrés pour arriver à des résultats plus significatifs et pouvoir ainsi tirer des conséquences plus concluantes. Il conviendrait également d’ y ajouter l’étude des occlusives sonores qui fait vraiment défaut dans notre travail. Ensuite, il serait intéressant de mesurer la voyelle qui suit ces occlusives pour voir si l’accent n’y exerce pas une action qu’il n’exerce pas dans l’occlusive.
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