Une famille d’afrancesados précurseurs de la cause basque aux XVIIIe et XIXe siecles: les Barroeta de Guipuzcoa

Francis HIRIGOYEN

C’est en recherchant le personnage d’une vieille photo conservée dans ma famille au dos de laquelle apparaissait une dédicace particulière : « A ma nièce chérie, ton oncle attentionné. Aldamar, camarero mayor de la reine Cristina » que j’ai fait connaissance avec cette famille Barroeta, grande famille du Guipuzcoa, ancêtres de la reine Fabiola de Belgique.

Joaquin de Barroeta  
Portrait de Joaquin de Barroeta (Arch San Telmo)
Le père de cet oncle Joaquin Maria de Barroeta Zarauz y Aldamar, né en 1763 et son beau-frère José Fernando Echave Asu y Romero un avocat très tôt républicain, tous deux natifs de Guetaria, étaient deux personnages importants du le milieu politique du Guipúzcoa, alors très attentif à ce qui se passait en France, et à qui on appliqua, le terme d’afrancesado.

Le terme d’afrancesado n’est pas apparu en 1808 lors de l’occupation de la péninsule ibérique par Napoléon, mais sous les règnes de Charles III (1759-1788) et Charles IV (1788-1808). On l’appliquait alors, en Espagne, en même temps que le terme de illustrado, à tous ceux, qui, dans divers domaines : littérature, beaux-arts, religion, économie, agriculture, mode, langage montraient leur enthousiasme à l’égard des nouveautés venues de France et du siècle des Lumières.

Il faut préciser qu’il existait au Pays Basque, tant dans les provinces du nord que dans celles du sud, des coutumes particulières (des fors) très anciennes auxquelles les habitants et leurs élites aussi étaient très attachées et qui, outre des dispositions d’ordre privé, se caractérisaient sur le plan institutionnel par la tenue, chaque année, d’assemblée générale ordinaire ou extraordinaire, appelée junte (le Biltzar dans les Pyrénées Atlantiques où l’institution existe toujours) dans l’une ou l’autre ville du Pays Basque. Ainsi cette assemblée se tint en 1793 à Renteria et à Guetaria en 1794 en pleine guerre franco-espagnole initiée par la Convention.

Une autre caractéristique de ces fors basques, consistait, en la prise en charge, par la province, de la défense militaire par des bataillons qu’elle levait elle-même, concédant éventuellement des soldats en quantité moindre au Roi.

Une autre originalité des fors basques était que chacune des juntes provinciales discutait et décidait le montant de la contribution versée à Madrid.

Enfin les provinces basques n’étaient pas assujetties aux taxes douanières, car les douanes espagnoles n’étaient pas établies à la frontière pyrénéenne, mais sur la ligne de l’Ebre. Les importations, notamment le tabac, étaient franches. Ce dispositif douanier sera ultérieurement combattu par la bourgeoisie, notamment de Donostia.

  Aldamar
Portrait Aldamar (collection particulière).
Lors des Juntes de Renteria de juin 1793, celles-ci désignèrent, au début du conflit franco-espagnol, une députation à la guerre, dirigée par Barroeta, le père de l’oncle de mon ancêtre et son beau-frère Echave y Asu Romero. Tous deux furent les protagonistes des négociations avec les Français pour l’indépendance du Guipúzcoa.

Après des difficultés, au début de la guerre déclarée à l’Espagne le 7 mars 1793, les troupes de la Convention menée par le tout nouveau général Moncey prirent très vite le dessus l’année suivante.

C’est le 4 août 1794 que Saint-Sébastien tomba sans combat à l’initiative de la municipalité à laquelle appartenait d’ailleurs mon ancêtre Irarramendi.

Après la chute de Saint-Sébastien, la députation extraordinaire à la guerre désignée aux juntes de Renteria, ayant à sa tête les deux beaux-frères Echave et Barroeta, se replièrent à Guetaria avec la junte provinciale et entrèrent en contact, dès le 4 août avec les Français, mais sans jamais arriver à un projet d’accord définitif. Une circonstance transforma les deux illustres habitants de cette ville de Guetaria en interlocuteurs provinciaux des Français, ce qu’ils n’étaient pas jusqu’alors, puisqu’ ils n’étaient que députés extraordinaires à la guerre, sans autre mission que de rassembler les troupes forales. Il était de coutume, dans la pratique forale provinciale, que la ville qui organisait les juntes générales, avait le droit de proposer les noms des députés de la Députation forale entrante qui se constituait dans ladite ville. Les deux personnalités en question furent tout naturellement les deux personnalités locales indiscutables : Don José Fernando Echave y Asu Romero, député général, à ce moment du Guipuzcoa et son beau-frère, oncle de mes ancêtres, Don Joaquin Maria Barroeta Zarauz y Aldamar, les deux appartenant à la haute noblesse du Guipuskoa.

L’activité de cette députation donna lieu à une division politique avec la création d’une junte rivale qui se forma, en septembre à Mondragon, en opposition aux juntes de Guetaria.

 
Dedicace d’Aldamar à mon aîeule Sylvie de Aldaz (coll particulière)
Ainsi apparemment deux philosophies très différentes se manifestèrent entre les deux juntes concurrentes, phénomène déjà observé lors des juntes de Renteria, celle de Guetaria, menée par Echave et Barroeta, était désireuse de moderniser les fors en vigueur, en coopérant avec les Français, et celle de Mondragon qui était opposée, restant très fidèle au Roi et surtout, beaucoup plus conservatrice. Ce qui est vrai, ce fut néanmoins l’apparition, dans la junte de Guetaria, et surtout chez nos deux protagonistes, d’une conscience d’identité du Guipúzcoa, ce que nous traduirions maintenant par entité basque, ce qui est, je le sais, contesté.

Le 4 août, avons-nous dit, les gens du Guipúzcoa entamèrent le premier contact avec les Français, ceux-ci annonçant d’entrée de jeu que toute proposition serait soumise à la Convention et que la seule chose négociable concernerait les conditions de l’annexion à la France.

La Province exposa ses demandes :

La France accéda à la demande de réunion et autorisa la tenue de juntes générales extraordinaires pour travailler sur les revendications présentées. On s’accorda sur un cessez-le-feu et on établit une ligne d’armistice sur le fleuve Orio.

Après vingt jours de contact épistolaire, on découvrit que les deux parties parlaient deux langages différents qui menaient à la catastrophe.

Là où les députés de Guetaria disaient indépendance et liberté souveraine des gens du Guipúzcoa, les français entendaient reddition et soumission à la générosité révolutionnaire et libertaire. En outre, le même jour où les délégués basques examinaient fébrilement à Guetaria les contre-propositions françaises, Pinet, commissaire de la Convention envahissait sans préambule la mairie de Saint-Sébastien, violait le traité signé le 4 août et destituait le corps municipal pour lui substituer une junte ou commission municipale de vigilance, formée de 11 français et d’un seul donostiara.

San Sebastian en 1838
San Sebastian en 1838 Wilkinson (San Telmo).

Le 23 août, les conventionnels français publièrent un Manifeste au peuple Guipuzcoan, déclarant que la province était désormais un pays conquis. Le 26 août, les quarante conseillers provinciaux de Guetaria furent arrêtés et conduits de manière humiliante à Hernani, Bayonne et Saint-Jean-de-Luz où ils restèrent jusqu’à la fin de la guerre. Cependant Barroeta et Echave furent très vite remis en liberté, d’où une certaine suspicion à leur égard.

Les Français occupèrent Guetaria et le Guipúzcoa jusqu’à la paix de Bâle le 22 juillet 1795.

En 1808, date de l’invasion de l’Espagne par Napoléon, et la mise en place sur le trône espagnol de son frère, Joseph 1er, les choses changèrent et c’est dans ce contexte que Joaquin Barroeta accepta, semble-t-il, du Roi l’intendance des Asturies (ou/et ensuite la Préfecture de Santander lors de la réforme administrative du nord de l’Espagne) à l’inverse, son beau-frère, Echave, demeuré très républicain, refusa cependant de partager le camp français, lequel pour cette raison l’emprisonna.

Ce n’est qu’ultérieurement bien après son retour que Ferdinand VII prit des mesures coercitives contre les afrancesados de la période postérieure à 1808 et que ceux-ci devinrent des traîtres. Joaquin de Barroeta fut alors exilé, probablement en 1823, et mourut, loin de sa terre, dans les Landes à Saint-Esprit, près de Bayonne, en 1837, probablement d’ailleurs, alors que son fils Aldamar se trouvait lui-aussi en exil à cause de son opposition au mouvement carliste.

San Sebastian en 1813
San Sebastian en 1813 litographie anglaise (San Telmo).

Ce fut pendant son court exil à Paris que naquit, le 27 février 1796 à Guetaria, son fils Joaquin Francisco Baldomero Aldamar de Barroeta y Hurtado de Mendoza qui va jouer lui aussi un rôle considérable dans l’histoire du Guipúzcoa et qu’on appela plus simplement pour le distinguer de son père, Aldamar. Il fut sénateur du Guipuzcoa de nombreuses années à partir de 1844 et sénateur à vie en 1860. Libéral il était cependant défenseur des fors basques ce qui lui valut une très grande popularité dans tout le Pays Basque, y compris à Bayonne où il s’exila à de nombreuses reprises et y anima les Juntas de Baiona mises en place en 1838 pour soutenir la politique de José Antonio de Munagorri : « Paix et fors ».

Le père et le fils sont les aïeux de la reine Fabiola de Belgique dont on connaît l’attachement à Guetaria et à Zarauz.

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