Maritchu ETCHEVERRY, Historienne de l’art du Moyen Age
Territoire de transition entre la France et la Péninsule ibérique, le Pays-Basque est une terre propice à la pénétration de différents courants artistiques, à la diffusion des modèles de la sculpture romane favorisée par l’engouement que suscitent les chemins vers Saint-Jacques-de-Compostelle. Jusqu’à lors, les divers travaux de recherches se sont néanmoins majoritairement concentrés sur les deux édifices souletins de Sainte-Engrâce et son riche décor sculpté, et de l’Hôpital-Saint-Blaise dont l’architecture renvoie à l’art hispanique. Les églises d’Aroue, Bidarray, Haux, Laguinge, etc., alors reléguées au second rang, présentent malgré tout un décor singulier et intéressant. Le Pays-Basque, et de manière plus générale le sud-ouest de l’Aquitaine, a en effet souffert d’un désintérêt de la part des chercheurs. Le paysage roman, certes très lacunaire, dévoile toutefois une pléthore de scènes figurées qui se mêlent aux compositions végétales et aux épisodes tirés de la Bible. Une approche globale de tous ces édifices constitue de fait un terrain favorable à la compréhension du développement de l’art roman dans notre région.
L’entreprise d’un dénombrement des sculptures romanes en Pays-Basque a conduit à faire un premier constat remettant en cause un bon nombre de théories jusqu’à lors adoptées et notamment celle s’accordant à considérer l’absence de vestiges romans en Pays-Basque, exception faite des édifices majeurs tels que Bidarray, Lahonce, Sainte-Engrâce et Saint-Jean-le-Vieux. Certes, la densité de notre paysage roman n’a rien à envier à celle de la vicomté voisine de Béarn ni même aux royaumes d’Aragon et de Navarre. Néanmoins, les édifices ici dénombrés sont au nombre de vingt-et-un et se situent dans les anciens diocèses de Bayonne, Dax et Oloron. Leur étude a permis d’inventorier pas moins de 275 œuvres, de la plus modeste et fruste à la plus aboutie. La répartition de ces dernières s’est révélée particulièrement hétérogène. La Soule, territoire de convergence de la plupart des chemins vers Compostelle, a montré une concentration de près de la moitié de la production avec 122 réalisations. Elle se distingue par la quantité de ses œuvres et la qualité de ces dernières, marquées par des influences arago-béarnaises. Ce décor peu varié et parfois d’une qualité altérée explique certainement le désintérêt des chercheurs.
Localisation de la sculpture romane. |
Dans ce domaine qu’est la sculpture, la période de création en Pays-Basque s’étend tout au long du XII° siècle, les premiers essais –très minoritaires en nombre– pouvant être datés de la fin du XI° siècle cependant que la fin du siècle suivant et le début du XIII° siècle connaissent encore des créations romanes, dont l’austérité tend parfois quelque peu vers le gothique. Le milieu du XII° siècle concentre le plus grand nombre d’œuvres qui témoignent d’une qualité plastique plus affirmée associée à d’importantes réflexions théologiques, ce qu’atteste le programme sculpté de Sainte-Engrâce qui illustre l’aboutissement de ces pensées. En outre, la sculpture romane est marquée par un développement tardif, notamment en ce qui concerne les œuvres figurées et les thèmes bibliques.
Mais le territoire étudié offre une relative diversité et des caractères originaux. Il dévoile notamment un contexte politique et religieux singulier du fait de la fragmentation des provinces en des diocèses et des pouvoirs civils parfois antithétiques.
Le décor monumental, organisation et hiérarchisation
Le dénombrement du décor roman, mis en corrélation avec la cartographie, révèle une diffusion éparpillée dans tout le territoire, avec une nette péréquation dans les édifices frontaliers. Toutefois, il est important de souligner que le paysage actuel demeure particulièrement lacunaire.
Notons que la Soule concentre plus de la moitié de la production totale répartie dans douze édifices que sont Alçabéhéty, Arhan, Aroue, Haux, Hôpital-Saint-Blaise, Laguinge, Larrau, Lichans, Montory, Ordiarp, Sainte-Engrâce et Sunhar. La Basse-Navarre compte sept chantiers à savoir Arbouet, Béhaune, Bidarray, Harambels, Saint-Etienne-de-Baïgorry, Saint-Jean-le-Vieux et Sorhoueta, soit un tiers de la production. Le Labourd, enfin, a souffert des guerres contre l’Espagne et ne compte guère plus que deux édifices présentant un décor sculpté : Lahonce et Saint-Etienne-d’Arrive-Labourd (quartier Saint-Etienne de Bayonne). Ces décors appartiennent à des églises romanes –Lahonce, Sainte-Engrâce–, partiellement romanes –Saint-Etienne-de-Baïgorry, Saint-Jean-le-Vieux– et peuvent même servir de remploi dans des constructions postérieures –Arbouet, Aroue–.
L’observation de ce décor conduit à émettre plusieurs constats. En premier lieu, il est notable que le décor architectural demeure peu fréquent. Il s’agit ici d’une démarche particulière qui rompt avec les traditions béarnaises ou gasconnes, parfois aragonaises, qui adoptent largement, quant à elles, le parti des arcatures aveugles aux absides et aux chevets. Seules les églises de Bidarray et Lahonce dérogent à la règle et proposent une disposition plus élaborée influencée par les œuvres architecturales du sud-ouest.
Chevet de Lahonce. |
Quelques corniches et bandeaux sculptés courent cependant à la naissance des voûtes des édifices souletins : Haux, Laguinge, Ordiarp, Sainte-Engrâce. Les portails sculptés se révèlent ainsi le terrain de développement favori du décor architectural.
Le second constat édifiant réside dans l’absence totale de mosaïque de sol ou de décor peint. Cette dernière solution a toutefois peut-être été autrefois adoptée sur les chapiteaux simplement épannelés d’Ordiarp ou bien sur les corbeilles de Sainte-Engrâce qui montrent encore de nos jours des couleurs chatoyantes, probables réminiscences de l’époque romane. Néanmoins, il n’existe aucun témoignage attestant cette hypothèse.
Enfin, la dernière démarche consiste à adopter de manière majoritaire le décor sculpté qui, lui, conquiert de nombreux supports : tailloirs, chapiteaux, archivoltes, bases, corniches. Parmi ces derniers, les portails constituent un terrain favorable au travail des sculpteurs notamment en ce qui concerne les tympans. Il arrive même très souvent que le parti ornemental des édifices se limite à ces portails. C’est le cas notamment à Alçabéhéty, Arbouet, Aroue, Harambels, Saint-Jean-le-Vieux, etc. A l’intérieur, les chapiteaux et tailloirs offrent les deux supports les plus exploités. Sur les chevets, quelques modillons ornés rompent la monotonie de l’architecture. L’édifice de Lahonce en compte un nombre particulièrement important tant au chevet que sur les flancs de l’édifice.
Quelques témoignages singuliers renvoient à des influences lointaines, résurgences du décor du haut Moyen Age. Dans ce sens, les claustras de l’église de l’Hôpital-Saint-Blaise constituent des exemples exceptionnels pour notre région.
1- Des témoignages incomplets
L’état de conservation de ces œuvres sculptées permet de statuer à la disparition d’un nombre relatif de décor dans les ensembles étudiés. La description que fait Cénac-Moncaut du portail d’Aroue peu avant la reconstruction de l’église atteste l’existence d’un tympan, aujourd’hui disparu, reposant sur un linteau sculpté, remployé au dessus de la porte de la sacristie1. En outre, à Sainte-Engrâce, les chapiteaux de l’ébrasement gauche du portail ont également disparu. De plus, un fragment sculpté de provenance inconnu montre des caractères bien distincts de ceux des chapiteaux du portail ou des corbeilles intérieures. Dimensions plus modestes et sculpture sur quatre faces suffisent à supposer l’existence d’un ensemble sculpté très différent de ce qui subsiste aujourd’hui : cloître ?, salle capitulaire ? ou simplement baie géminée ? Enfin, le portail roman de l’Hôpital-Saint-Blaise a quant à lui été entièrement détruit, exception faite du tympan. L’entrée actuelle résulte d’une reconstruction du XIX° siècle. Dans quelle mesure reproduit-elle le profil roman originel ?
Du reste, les détériorations sont nombreuses. Les portails ont largement souffert des intempéries notamment à Haux et Lahonce. A Arbouet, c’est un chapiteau de l’ébrasement droit qui est illisible. Dans une toute autre mesure, l’ancien portail occidental de la priorale de Béhaune n’offre plus aujourd’hui que deux fragments de voussures. Le décor des chevets tend vers des dégradations similaires. Alors que les chapiteaux encadrant les baies du chevet de Bidarray restent amplement exploitables, une grande partie de ceux de Lahonce sont attaqués par le lichen et certains reliefs ont même presque entièrement disparus.
A l’intérieur des édifices, les sculptures ont majoritairement été dégradées par la main de l’homme, lors des guerres de religion. Il en va ainsi du chapiteau de Sainte-Engrâce représentant un couple nu enlacé sur lequel le sexe des personnages a été mutilé.
Les diverses campagnes de restaurations des Monuments historiques s’étant principalement concentré sur l’architecture des bâtiments, jugée prioritaire, le décor a bien souvent été relégué au second rang. Par manque de moyens, les chapiteaux endommagés ou disparus ont été remplacés par de simples corbeilles nues –ébrasement nord du portail de Sainte-Engrâce–. A l’Hôpital-Saint-Blaise, c’est l’intégralité du portail qui a ainsi été remplacée. Les chapiteaux ornant l’abside de Bidarray sont également très restaurés.
Dans l’ensemble, les restaurations effectuées ont toutefois été modérées et n’altèrent que peu la lecture de ce décor sculpté.
2 - Une exception : les claustras de l’Hôpital-Saint-Blaise
Claustra de l’Hôpital-Saint-Blaise. |
3 - Les portails
Portail méridional d’Alçabéhéty. |
La chapelle de Sorhoueta montre une formule singulière : un linteau sur piédroit accueille le décor christique en lieu et place de l’habituel tympan.
Enfin, l’ordonnance la plus répandue est sans nul doute celle des portails occidentaux à ébrasements à ressauts matérialisés par une alternance de colonnes et de piédroits couronnés de tailloirs ou d’impostes supportant des voussures multiples. Ces dernières, toriques et droites, forment archivolte. Cette formule s’observe dans tout le territoire de Lahonce à Arbouet et jusqu’à Sainte-Engrâce. A l’exception de Notre-Dame de Bidarray, tous sont complétés d’un tympan, orné ou pas. En outre, ces exemples sont caractérisés par le développement de la sculpture sur des supports nombreux et variés. En outre, les portails occidentaux sont liés aux édifices plus ambitieux, aussi bien du point de vue du plan que de l’ornementation.
Enfin, le chapiteau relève de l’ensemble majoritaire dans l’adoption du décor sculpté qu’il s’agisse des portails ou de l’intérieur des édifices. Tous montrent une nette prédilection pour les espaces sacrés que sont le portail, l’abside et le chevet. Le symbolisme lié aux images sculptées y est particulièrement important. Les nefs ainsi que les portails dévoilent un décor majoritairement végétal –Laguinge, Saint-Etienne-de-Baïgorry, chapiteau méridional de Haux ainsi que six chapiteaux sur dix de Sainte-Engrâce– cependant que les absides montrent un décor associant scènes profanes et épisodes bibliques comme à Sainte-Engrâce.
La sacralisation de l’espace
Dans la pensée chrétienne, l’Eglise est le pôle du sacré. Dans ce contexte, le portail introduit le fidèle dans l’église et revêt de fait un aspect symbolique capital. Sa position intermédiaire, entre la vie quotidienne et l’espace sacré de l’église, lui confère un rôle tout à fait mystique de lieu d’accueil au caractère vénérable. Il marque ainsi l’entrée dans la communauté de l’Ecclesia. L’exemple épigraphique du portail de Sainte-Engrâce « Pax tecum » nous renseigne parfaitement sur cette symbolique. Ainsi, la porte est un « accès métaphorique au Paradis »2. Plusieurs exemples révèlent ainsi, pour leur choix iconographique, le sens sacré de la porte.
Dans ce rapport à l’espace sacré, le chevet constitue un espace liturgique enclin à être magnifié. Entre le portail et l’abside ou le chevet, il existe une certaine idée de cheminement dans la progression du fidèle à l’intérieur de l’église. Ainsi à Sainte-Engrâce, l’iconographie des vingt chapiteaux montre clairement une nette progression depuis la nef où les chapiteaux sont végétaux jusqu’à l’abside qui concentre quatorze scènes figurées et historiées. A Bidarray et Lahonce, c’est le parti architectural –triple arcature– et la multiplication du décor qui appuient cette volonté de glorification.
Parallèlement à cette mise en valeur des parties orientales, la séparation de l’espace sacré et de l’espace réservé aux fidèles est marquée par la présence d’un arc triomphal matérialisé par des degrés, une importance des supports et/ ou une iconographie particulière comme à Sainte-Engrâce : les colonnes sur piédestaux, la présence de scènes bibliques sur les chapiteaux, le dédoublement de cet arc triomphal ou bien encore sa présence à l’entrée de l’abside et des absidioles, en font un exemple tout à fait singulier. Du reste, dans cet édifice comme en l’église de Haux, il existe un certain nombre d’analogies entre la mise en valeur du portail et celle de l’abside. Qu’ils soient lieux de passage ou lieux liturgiques, les espaces de l’église reflète la vie spirituelle et le parcours terrestre dans la recherche de Dieu.
Entre réalisme et symbolisme
L’ensemble de la production sculptée révèle une relative pauvreté thématique des réalisations. Les compositions géométriques simples sont majoritaires. Entrelacs, billettes, copeaux sont prépondérants. Toutefois, le répertoire végétal prime dans l’ornementation des chapiteaux. Enfin, les scènes historiées sont essentiellement cantonnées à la Soule où elles demeurent néanmoins peu nombreuses.
Portail occidental d’Arbouet. |
Il semblerait par ailleurs que les modèles aient évolué dans le temps. Les édifices les plus anciens se contentent généralement d’un décor modeste : ornementation géométrique ou chapiteau épannelé comme à Harambels ou à Saint-Etienne-de-Baïgorry. Les édifices du XII° siècle, quant à eux, suggèrent l’adoption de motifs plus élaborés, à savoir le répertoire figuré et parfois même, vers le milieu du XII° siècle, les scènes historiées. C’est le cas notamment dans les édifices d’Arbouet –pécheurs engloutis par des bêtes et les églises souletines– Aroue, Haux (représentation simiesque), Sainte-Engrâce (musiciens, pécheurs, centaures, etc.). En outre, cette période est caractéristique de l’apparition des scènes tirées de la Bible. Il subsiste des modèles particulièrement intéressants au portail d’Arbouet, au tympan de l’Hôpital-Saint-Blaise qui dévoile un Christ en majesté entouré du tétramorphe ou bien encore à Sainte-Engrâce. Enfin, dans les œuvres romanes tardives –Bidarray, Lahonce, Saint-Etienne-d’Arrive-Labourd, etc.–, les œuvres figurées et historiées tendent à disparaître. Ces édifices sont caractérisés par une résurgence des influences à l’Antiquité et au chapiteau corinthien, toutefois marquée par une simplification à outrance des schémas antiques.
Parmi toutes ces créations, il en est certaine qui méritent un intérêt particulier. Ainsi en va-t-il des tailloirs couronnant les chapiteaux du portail d’Arbouet. Les motifs représentés –succession d’enroulements, motifs sphériques circonscrivant des rosaces stylisées– trouvent leur origine dans les motifs géométriques de l’art préroman hispanique et de l’art mozarabe basilique d’Aljezares, chapiteaux de San-Vicente de Cordoue, etc. Les rosaces renvoient aux créations de Santa-Maria de Lebeña et San-Millán de la Cogolla.
L’influence de l’antiquité offre également des créations subtiles et raffinées. La référence à l’Antiquité, largement réinterprétée et altérée –chapiteaux d’Arbouet, Haux, Laguinge, Sunhar et Sainte-Engrâce–, y est matérialisée par la conservation d’éléments de l’ordre corinthien tels que les volutes ou le dé central. Les feuilles d’acanthes laissent place à des feuilles lisses et des compositions très épurées. Quelques réalisations sont plus soignées comme celles ornées de pomme de pins –Sainte-Engrâce–, ou celles dont les feuilles amorcent un retroussis générant une boule –Haux, Laguinge, Sainte-Engrâce–.
Les œuvres de transition avec le gothique montrent un désir certain de schématisation : simplification extrême des végétaux à Bidarray, inarticulation et dimensions très élancées de la corbeille à Saint-Jean-le-Vieux, sont caractéristiques des tendances des œuvres tardives que sont le dépouillement et l’appauvrissement de l’ornement.
Les scènes figurées occupent une place réduite dans le corpus sculpté. Néanmoins, les scènes sont intéressantes et d’une assez bonne qualité. La Soule concentre le plus grand nombre de vestiges figurés puisqu’elle compte plus de 80 % de ce répertoire. L’église de Sainte-Engrâce facilite la compréhension du développement de ce répertoire puisqu’elle représente la moitié du corpus figuré total. La typologie montre que ces scènes figurées sont elles aussi circonscrites aux espaces sacrés comme les portails –Arbouet, Aroue, Haux, Saint-Jean-le-Vieux, Sainte-Engrâce– ou bien encore l’abside –Haux et Sainte-Engrâce–.
Le bestiaire y est assez peu représenté. Les supports de petite taille –corbeaux, griffes d’angle, modillons, voussures, etc.– montrent des représentations frustes essentiellement décoratives corbeaux du portail d’Arbouet, volatiles sur une voussure du portail de Haux, griffes d’angle de Sainte-Engrâce, etc. En revanche, les chapiteaux accueillent des scènes témoignant d’un plus grand souci esthétique comme à Sainte-Engrâce et ces centaures sagittaire ou ces animaux s’affrontant en se mordant, illustrant la lutte du Bien contre le Mal.
Si les représentations humaines ornent elles aussi parfois quelques modillons ou griffes d’angle, ce sont sur les chapiteaux que s’observent les œuvres les plus abouties.
La luxure, Aroue. |
La déontologie chrétienne et ses préoccupations moralisatrices constituent l’objectif premier de toutes ces représentations. Ainsi, les vices sont-ils représentés tout comme la punition du pécheur, bien souvent retenue, ou la victoire du Bien contre le Mal. Les deux corbeaux soutenant le linteau d’Aroue illustrent deux vices que sont la luxure –serpents dévorant les seins d’une pécheresse– et probablement l’ivrognerie. A Arbouet, deux pécheurs sont engloutis par des lions sur un chapiteau du portail. La scène, si elle suggère la damnation, fait toutefois référence à la Rédemption. La localisation de cette scène au portail de l’édifice revêt alors ici toute sa signification. Le fidèle repenti pénétrant dans ce lieu sacré sera pardonné et expié de ses péchés. Enfin, une nouvelle fois, l’ancienne collégiale de Sainte-Engrâce tient une place de premier ordre. De nombreuses scènes sont consacrées à la représentation des vices ainsi qu’aux châtiments réservés aux impies. Ainsi, trois chapiteaux dénoncent diverses tentations –l’inconstance et la futilité au chapiteau des Musiciens et danseuse, la vanité et la moquerie illustrées par un singe, ainsi que le péché de la chair sur le chapiteau du couple nu enlacé. Les chapiteaux de dévoration préviennent les fidèles des dangers de leurs châtiments – folie gagnant les réprouvés dans la nef–. Ces épisodes poussent le fidèle à la maîtrise de soi. La confrontation de ces sculptures figurées d’avec le répertoire historié souligne par ailleurs l’importance du don de soi dans le chemin vers la Rédemption.
En dernier lieu, le répertoire historié, ou biblique, se révèle réduit mais néanmoins original compte tenu de certains procédés iconographiques. Dix édifices, essentiellement souletins, ont adoptés le chrisme au tympan des portails et son puissant symbolisme. En effet, ce répertoire gagne essentiellement les portails. Mais à Sainte-Engrâce, quelques chapiteaux historiés ornent nef et abside. Plus que n’importe quelle ornementation, le répertoire biblique circonscrit toujours des espaces sacrés. Ce sont les tympans qui ont le plus fréquemment reçu ce décor.
La Glorification du Christ semble avoir retenu l’attention des sculpteurs, notamment dans le décor des portails. Plus de la moitié des scènes y sont consacrées, au travers notamment du chrisme –Alçabéhéty, Harambels, Sorhoueta, Saint-Jean-le-Vieux, Sunhar, etc.– et du Christ en majesté entouré du tétramorphe au portail de l’Hôpital-Saint-Blaise. Le chrisme de Sainte-Engrâce est sublimé d’une profusion de détails tous plus symboliques les uns que les autres. Deux anges, gardiens du temple, le soutiennent, marquant ainsi le lien entre le monde terrestre et le monde céleste. Sur le chrisme, Alpha et Oméga sont inversés : la fin et le début, comme une idée de renaissance, de Résurrection. Les volatiles de la voussure pourraient illustrer les âmes des élus. Enfin, la signature de l’imagier sur le bandeau du chrisme rend cette œuvre très singulière.
Le repas d’Emmaüs, Sainte-Engrâce. |
L’Enfance du Christ mais encore la Résurrection ont enfin constitué les modèles adoptés dans le décor des chapiteaux. Ainsi, une scène illustre le Voyage des Mages à Sainte-Engrâce, deux sont sans contexte consacrées à l’Adoration des Mages –Sainte-Engrâce et peut-être Aroue– et enfin quatre traitent de manière détournée de la Résurrection et de la toute puissance du Christ comme le Christ en gloire au tympan de l’Hôpital-Saint-Blaise. Deux christophanies sont aussi représentées au portail de Sainte-Engrâce : la rencontre avec les pèlerins d’Emmaüs suivi du repas d’Emmaüs. Cette apparition aux disciples s’inscrit dans un programme iconographique cohérent puisqu’il fait suite à la Résurrection du Christ suggérée dans l’abside par l’épisode des Saintes femmes au tombeau et introduit l’Ascension du Sauveur, symbolisée par le chrisme du tympan. Cet épisode devait évidemment servir à prouver que le Christ n’était pas un revenant mais bel et bien un ressuscité, célébrant ainsi sa puissance divine.
Dans le territoire ici survolé, au Moyen Age, l’ordonnance de la sculpture a fait l’objet de réflexions poussées et judicieuses, mettant en avant la sacralisation des espaces. La fortune des œuvres de l’Antiquité et la résurgence des motifs du Haut Moyen Age ont insufflé à ces œuvres une relative richesse cependant qu’une rupture avec le corinthien s’est opérée dans les réalisations des édifices de frontières et les créations tardives. Les représentations figurées n’ont pas affiché de grande volonté créatrice, si ce n’est à Sainte-Engrâce, mais ont néanmoins dévoilé des dispositifs communs à l’ensemble du monde roman –illustration des vices et de leurs châtiments–, avec quelques exemples stylistiquement remarquables –Dévorations d’Arbouet et de Sainte-Engrâce, Musiciens et bestiaire de ce dernier édifice, châtiment de la luxure à Aroue, etc.–. Enfin, les scènes historiées ont révélé une pensée théologique importante, notamment dans l’illustration de la célébration divine.
L’étude iconographique des sculptures de Sainte-Engrâce, qui s’impose comme le chantier le plus ambitieux du territoire, ouvre largement sur les foyers artistiques voisins que sont les œuvres béarnaises et aragonaises. Ce chantier ainsi que celui de Lahonce ne paraissent pas avoir eu un rayonnement important dans le territoire ni même en dehors de celui-ci. La position géographique du Pays-Basque, propice à la pénétration de différents courants artistiques venant du sud de la France vers la péninsule ibérique, aurait pu en faire une aire de développement culturel importante. Cependant, la diffusion des modèles est demeurée dans un contexte purement local.
Bien loin des chantiers majeurs de Saint-Sernin de Toulouse, de Saint-Sever, de Notre-Dame de Lescar ou de Jaca, la sculpture romane des terres basques a su néanmoins se doter d’une certaine originalité qui révèle parfois, au hasard d’un chapiteau, une saveur et un style si singuliers.
1 Cenac-Moncaut, Voyage archéologique et historique en Pays-Basque, Labourd, Guipúzcoa, pp. 5-8.
2 Selon l’expression de Caroline Roux, Entre sacré et profane, essai sur la symbolique et les fonctions du portail d’église en France entre le XI° et le XIII° siècle, Revue belge de Philologie et d’Histoire, fasc. 4, 2004, p. 850.
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