Le développement de l’identité basque des enfants : influence familiale, influence du contexte scolaire

Elorri GARAT BIDART, Laboratoire de psychologie. Université Bordeaux 2 Victor Segalen

Introduction théorique

L’avenir et le droit des minorités culturelles et linguistiques est une des préoccupations de l’Union européenne. Parmi les différentes questions qui se posent, celle de la revitalisation des langues et des cultures qui sont en déperdition est importante et particulièrement cruciale pour les langues minoritaires en France. Joshua Fishman (cité par l’Institut culturel basque), un des leaders théorique dans le domaine, a avancé la théorie du Reversing Language Shift (inversion du glissement linguistique) et stipule comme principe de base que le processus de réappropriation d’une langue suit le processus inverse de sa détérioration. Huit étapes sont ainsi définies : valorisation du corpus, participation des adultes à la vie culturelle, transmission familiale pour renforcer la communauté linguistique, l’enseignement volontaire pour les jeunes adultes, l’utilisation de la langue dans la société de proximité : travail, service, l’utilisation de la langue dans les médias et l’administration locale, la reconnaissance officielle par les universités et le gouvernement.

Notre recherche concerne les processus de développement de l’identité basque des enfants et des adolescents du Pays Basque Nord (la partie du Pays basque qui est située sur le territoire français) en fonction des influences familiales et scolaires.

Depuis quelques années, plusieurs chercheurs en sciences humaines et sociales dans la Communauté autonome basque (CAB) ont souligné le rôle primordial de l’usage et de la maîtrise de la langue dans des situations pluri culturelles. Azurmendi et al (cité par Reizabal 2004), ont montré qu’au Pays Basque sud les adultes qui parlent basque dans leur vie quotidienne s’identifient plus à l’identité basque que ceux qui utilisent l’espagnol. De plus Reizabal et Barrett (2004) ont démontré que les enfants s’identifiaient plus à l’identité basque lorsque leurs parents parlaient les deux langues (basque et espagnol) ou uniquement le basque.

Peu d’études ont été faites sur le territoire français, du moins aucune en psychologie du développement. Les contextes linguistiques et politiques entre les différentes provinces du Basque divergent sur de très nombreux points, ce qui justifie que sur le plan scientifique on s’intéresse à ces différents contextes (Bourhis, 20001). La Communauté Autonome Basque offre un support institutionnel clair la langue basque est officielle, il y a un gouvernement basque, les membres du groupe basque ne sont pas en minorité dans cette autonomie, de plus l’utilisation de la langue basque suit une courbe ascendante, 61% des enfants de 15 ans parlent le basque. Au Pays Basque nord (sur le territoire français), le contexte 9% des enfants de 15 ans parlent basque, même si la courbe de l’utilisation de la langue ne descend plus elle n’a pas encore commencé à remonter. La langue n’est pas officielle, il n’y a aucune reconnaissance des instances politiques. La culture basque est en minorité face à la culture dominante française. Comment font les enfants pour gérer cette situation de double culture, cela veut il dire double identité ?

Dans le modèle de Fishman, l’étape de la transmission familiale nous intéresse plus particulièrement. L’étude de l’Institut Culturel Basque auprès des adolescents montre la vitalité actuelle de cette question, en effet une bonne partie d’entre eux ont fait part de leur volonté de transmettre la langue basque lorsqu’ils seront eux mêmes parents. La question que nous posons est celle de l’acquisition de la langue, de la culture et des attitudes favorables à la transmission de la langue, dans un contexte minoritaire peu soutenu par une politique gouvernementale centrale.

Notre projet de recherche s’appuie sur les données de la psychologie sociale développementale qui depuis quelques années s’intéresse au développement de la compréhension des enfants de leur environnement social et au développement des identités, attitudes et relations intergroupes et interlangues (Barrett et al. 2005, Phinney et Rotheram, 1987).

Méthodologie de la thèse

Population : des enfants de grande section de maternelle, de CE1, de CM1, de 5ième et de 3ième (30 enfants par niveau) issus de trois contextes scolaires différents: école bilingue, école basque, école française.

Méthode : Les enfants seront vus à l’école dans des entretiens individuels d’une durée de 30 minutes par une méthode inspirée de Reizabal et al (2004), de Jahoda (1963), et ils répondront à un questionnaire inspiré de Bourhis et Sachdev (1984), Institut Culturel Basque (2005), toujours de façon individuelle. Leurs parents répondront à un questionnaire inspiré de Cinnirella (1997) modifié par Becker (2003), de l’Institut Culturel Basque (2005) et de Bourhis et Sachdev (1984). Les enseignants répondront à un court questionnaire inspiré de Cinnirella (1997) modifié par Becker (2003).

Mesures pour les enfants

Entretien

a) Identités basque, française, européenne : autocatégorisation par le choix parmi un jeu de cartes proposant diverses catégories sociales pouvant les concerner (adulte, enfant, basque, italien, fille, garçon...). Le sentiment d’appartenance en utilisant trois thermomètres, basque, français et européen, ils doivent évaluer leur sentiment sur une échelle allant de ‘pas du tout’ à ‘totalement’. La réponse à la question ‘Si tu allais aux Etats Unis et qu’on te demande d’où viens tu ? Qu’est-ce que tu répondrais ?’

b) Représentations spatiales hymnes et drapeaux : On donne à l’enfant quatre papiers cartonnés de tailles différentes, le plus grand représente l’Europe, les deux moyens représentent la France et l’Espagne et le petit le Pays Basque : « Est-ce que tu peux me montrer comment tu te représentes ces trois nations et l’Europe, comment ils se situent dans l’espace les uns par rapport aux autres ? ». Nous lui faisons écouter quatre hymnes : européenne, espagnole, française, basque ; nous lui disons : «  nous allons te faire écouter quatre airs de musique et nous voudrions savoir si tu les as déjà entendu ou pas. » Enfin nous disposons devant l’enfant six photographies de drapeaux et trois photographies d’écussons : européen, français, basque, espagnol, allemand, britannique ; et les écussons des trois provinces : Labourd, Basse Navarre, Soule. Nous lui demandons : « est-ce que tu reconnais quelque chose ? Est-ce que tu as déjà vu ces photographies ? »

c) Connaissances culturelles: Nous disposons devant l’enfant différents jeux de cartes concernant : instruments de musique, danses, architecture, paysages. A chaque fois nous lui demandons de reconnaître les photos liées au Pays Basque. Ensuite nous lui demandions de nous citer trois titres de chansons, trois personnes Basques connues, trois lieux connus, enfin qui sont « Zanpantzar » et « Olentzero » deux personnages imaginaires l’un lié au carnaval, l’autre à Noël. Les questions à choix multiples du questionnaire font parties des connaissances culturelles.

Questionnaire pour les enfants :

Huit questions à choix multiples, quatre à propos de sportifs basques connus (quels sports pratiquent-ils), chanteur, écrivain, peintre et bertsolari.

d) Langue parlée : en quelle langue parles-tu avec : père, mère, frère/soeur, amis à l’école, amis hors de l’école. Les possibilités de réponses sont présentées sous forme ‘Harter’ une échelle : français, plus français que basque, les deux pareils, plus basque que français, basque.

e) Vitalité linguistique : la représentation qu’il a de la vitalité de la langue basque dans les institutions qui l’entourent : mairies, écoles, magasins...

Mesures pour les parents et les enseignants :

a) Identité nationale : (parents et enseignants). Ce questionnaire (Becker, 2003) évalue : l’importance perçue des identités basque et française, la connotation socio-émotionnelle de ces deux identités et la perception de ressemblance et d’interdépendance entre soi et les membres des deux groupes. C’est une échelle de type Lickert qui va de « pas du tout » à « extrêmement ».

b) Langue parlée : Savoir en quelle langue parlent la mère et le père à leur enfant.

c) Pratiques éducatives : Ces questions mesurent à quelle fréquence les parents orientent leurs pratiques éducatives culturelles vers la culture basque et à quelle fréquence ils utilisent les médias basques.

d) Positionnement face à la langue basque : (parents et enseignants).Dans cette série de questions nous retrouvons les mêmes points que ceux du questionnaire de la vitalité subjective des enfants, mais le but est ici de mesurer le positionnement langagier des parents. Les questions portent sur l’intérêt de l’évolution de la langue à différents niveaux.

Les principaux résultats de notre recherche :

Nous avons interrogés 81 enfants de CE1 et 73 du CM1 dans trois contextes scolaires (Ikastola, publique bilingue et privé bilingue) dans les trois provinces basque du Nord. Les parents ont également rempli un questionnaire.

a) Identité basque et française

Les résultats montrent que les enfants, indépendamment de leur âge ont une identité basque plus forte que l’identité française, ils ont développé une conscience ethnique dont parlait Bernal, car les différences entre les deux groupes : groupe majoritaire français, groupe minoritaire basque ne sont pas d’ordre physiques. La seule différence « visible » que l’enfant puisse distinguer est la langue basque. En effet l’utilisation de la langue basque a un impact très important sur l’identité basque. Pour les enfants du Pays Basque Nord plus ils utilisent la langue basque dans leur vie de tous les jours plus ils s’identifient à l’identité basque, c’est une caractéristique qui leur permet de faire la distinction entre groupe minoritaire basque et groupe majoritaire français. De plus il est supposé que la perception de la vitalité subjective peut jouer un rôle sur les comportements langagiers et l’identification à son propre groupe. Les enfants se représentent une vitalité linguistique assez élevée, Bourhis et al (1981) ont trouvé que certaines personnes exagèrent la vitalité subjective de leur propre groupe en fonction de la langue utilisée, de l’identification au groupe ou encore des relations intergroupes.

b) Évolution, changement au cours du développement 

Il y a une affirmation de l’identité basque au cours du développement, elle devient un élément important pour les enfants entre le CE1 et le CM1, parallèlement à ce renforcement de l’identification nous avons constaté une augmentation des connaissances culturelles. Nous supposons une relation linéaire entre la connaissance des enfants sur leur propre culture et l’identification ethnique de ces enfants. Cependant cette identification élevée s’accompagne d’une exclusion du sentiment d’appartenance à l’identité française, ils ne combinent pas les deux appartenances. Par contre le sentiment d’appartenance européenne évolue avec l’âge. Les aînés ont acquis la capacité d’inclusion, ils arrivent à se représenter le Pays Basque comme partie intégrante de l’Europe, et de ce fait à se sentir européen. Les CE1 n’ont pas cette capacité d’inclusion, ils n’ont pas atteint la compréhension de la supra nationalité.

c) Transmission familiale : Les connaissances culturelles des enfants, l’identité basque des enfants sont influencées par l’utilisation de la langue basque et par la saillance identitaire basque des parents (Knight et al, 1993). Ces résultats rejoignent les conclusions de Reizabal et al (2004), en effet dans leur étude le groupe linguistique auquel appartient l’enfant influence son identification nationale : plus l’enfant parle basque avec ses parents plus il s’identifie à la nation basque. Les pratiques éducatives des parents alliées à la langue qu’ils utilisent et à leur saillance identitaire influencent l’utilisation de la langue basque de l’enfant avec son entourage. Nous supposons que les pratiques éducatives permettent à l’enfant de considérer la langue basque comme étant une langue de communication à part entière.

d) Transmission scolaire : Il apparaît que les enfants scolarisés dans les ikastola ont des moyennes significativement plus élevées en ce qui concerne : l’autocatégorisation basque, le sentiment d’appartenance basque, les connaissances culturelles, la langue utilisée et la vitalité subjective (différence significative seulement avec l’école publique). Nous supposons que ces différences sont principalement dues à la place prépondérante de la langue basque dans les ikastola. De plus en ajoutant la variable type d’écoles aux analyses précédentes, nous constatons que le type d’école s’intègre dans les modèles pour expliquer : l’autocatégorisation basque, les connaissances culturelles basques, la langue parlée.

Résumé de la première année de thèse
Sous la direction de Madame Sabatier Colette

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2008 / 03-28 / 04-04