Maite LAFOURCADE, Professeur é mé rite de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour
La conception de la femme, « de faible entendement », incapables d’agir seule se développa dans la doctrine française, sous l’influence du Droit romain, à partir de la fin du XIVème siècle et finit par s’imposer au XVIème siècle. C’est ainsi que naquit le principe de l’incapacité juridique de la femme mariée qui subsista en France jusqu’en 1938.
Mais cette innovation ne pénétra pas en Pays basque. Dans la vie de la famille, le sexe n’avait aucune influence sur la condition des personnes. Le clivage n’existait pas entre l’homme et la femme, mais entre l’enfant héritier, fille ou garçon, et les enfants cadets.
I. La femme héritière
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Inaliénable, le patrimoine familial était aussi indivisible . Il était transmis de génération en génération à un responsable : l’« etxerakoa ». En Labourd, l’héritier, en biens ruraux, était l’enfant aîné, sans distinction de sexe4. En successions nobles, le privilège de masculinité, d’origine féodale, s’était imposé à l’époque da rédaction de la Coutume5, imparfaitement toutefois : s’il y avait des enfants de divers mariages et si du premier il n’y avait que des filles, l’aînée excluait les enfants des autres lits6.
En Soule et en Basse-Navarre, où la féodalité s’était implantée, le privilège de masculinité avait plus largement pénétré. D’une façon générale, seules les maisons rurales de Haute Soule et les maisons fivatières7, avaient conservé le régime ancestral.
La transmission du patrimoine familial avait lieu à l’occasion du mariage de l’enfant héritier et dans son contrat de mariage.
Une héritière épousait généralement un cadet8 d’une autre famille qui entrait dans sa maison en y apportant une dot et prenait le nom de sa femme ainsi que les enfants nés de leur union. En échange de la dot apportée par le conjoint adventice, les parents de l’héritière « assignaient », conformément à la Coutume, la moitié indivise du patrimoine familial. Les deux couples, « maîtres vieux » et « maîtres jeunes », éventuellement les grands-parents ou le survivant d’entre eux, vivaient sous le même toit, tous ayant des droits égaux sur le patrimoine familial. C’est le régime typiquement basque de la coseigneurie. Les actes d’administration et, à plus forte raison, de disposition nécessitaient le consentement de tous les indivisaires9, soit des deux couples voire des trois, le survivant de chaque couple ayant les mêmes droits que les autres, quel que fût son sexe ou sa qualité, héritier ou dotal.
Dans chaque couple, la femme était l’égale de l’homme. Tout acte de disposition nécessitait leur commun consentement10. La femme pouvait même avoir voix prépondérante sur celle de son mari, lorsqu’elle était l’héritière11.
Cependant, comme en droit commun coutumier, le mari était le chef de la communauté d’acquêts12. Après cette atteinte au principe basque de l’égalité des sexes, les Coutumes de Labourd et de Soule précisent que le mari ne peut disposer sans le consentement de sa femme des biens qu’elle a acquis « par son industrie »13. Celle-ci ne pouvait pas davantage les aliéner sans le consentement de son mari, sauf quand elle était marchande et pour les besoins de son commerce, pour l’entretien des biens assignés en mariage et pour la nourriture des enfants nés de leur union14. En dehors de ces trois hypothèses, l’obligation contractée par la femme seule n’était pas nulle ; ses actes étaient juridiquement valables ; leurs effets étaient seulement suspendus jusqu’à la mort de son mari15. La femme mariée pouvait aussi disposer de sa part d’acquêts par testament16.
II. Les cadettes
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Les enfants cadets pouvaient demeurer dans leur maison natale jusqu’à la fin de leurs jours, à condition d’y travailler et de contribuer à sa prospérité.
Mais, généralement, les maîtres de maison faisaient en sorte que tous les enfants cadets aient les moyens de gagner leur vie hors de la maison et de fonder un foyer, comme l’exigeait l’honneur de la maison.
A leur départ de la maison familiale, les enfants cadets recevaient leurs droits légitimaires et successoraux. La Coutume ne déterminait aucune quotité . Les parents devaient seulement « marier fils et filles modérément, ayant regard à la qualité des biens de lignée »17 et leur donner une part de leurs acquêts, « si peu soit-il »18, soit un minimum de cinq sols. Aucune différence n’était faite entre les garçons et les filles. Les droits de chaque enfant consistaient en une somme d’argent, souvent modeste et inégale selon les enfants.
Ayant reçu leur part, les enfants cadets étaient désormais exclus de la succession de leurs père et mère19. Cette exclusion des enfants établis allait à l’encontre du droit romain, de la tendance générale du droit coutumier, de la doctrine, de la jurisprudence et de l’ordonnance royale de 1735. Mais, rares étaient ceux qui osaient enfreindre la loi du groupe et se plaindre en justice. S’ils étaient mécontents, le différend se réglait à l’amiable, par une sentence arbitrale.
Les cadettes qui entraient par mariage dans la maison d’un héritier y apportaient leurs droits sur leur maison natale, auxquels elles pouvaient ajouter un pécule personnel ou la donation d’un tiers. Cet apport était qualifié de « dot » par les rédacteurs des Coutumes ; ce terme fut emprunté au droit mais ne semble pas avoir été utilisé au XVIème siècle en Pays basque, car les rédacteurs de la Coutume de Labourd précisent « dot ou donation pour nopces vulgairement appelée mariage »20.
Cet emprunt à la terminologie romaine est superficiel . Les rédacteurs des coutumes ont adapté le régime matrimonial basque à la terminologie romaine. La dot était généralement constituée par les maîtres de la maison natale de la jeune fille, mais elle pouvait l’être par quiconque. Versée en deniers comptants, sinon toujours évaluée en argent, elle était remise aux parents de l’époux qui l’affectaient « au profit et utilité » de leur maison. Son emploi figurait dans la quittance afin de garantir sa réversion qui avait lieu au décès de l’un des époux sans postérité21. Dans le cas où le conjoint héritier mourait le premier, la dot était rendue au survivant qui devait quitter la maison du prédécédé dans laquelle il n’avait plus aucun droit22. Si c’était le conjoint dotal qui décédait le premier, la part de sa dot constituée de ses droits légitimaires était rendue aux maîtres de sa maison natale. Mais dès la naissance d’un enfant et s’il demeurait en vie, la dot était ipso facto incorporée au patrimoine de l’héritier, destinée, avec les biens avitins, à l’enfant qui venait de naître et qui perpétuerait la maison.
Mais toutes les jeunes filles n’avaient pas l’opportunité d’épouser un héritier. Certaines se mariaient avec un cadet. La Coutume de Labourd n’envisageait pas cette situation marginale dans un système juridique élaboré à partir des maisons et destiné à assurer leur conservation à travers les siècles. Les couples de cadets n’ayant guère de biens, les mettaient généralement en commun. La communauté universelle est d’ailleurs le régime matrimonial prévu par la Coutume de Soule pour les mariages entre « soult » et « soulte ».
Parmi les jeunes filles restées célibataires, il faut faire une place à part à celles qui avaient la très honorable charge de benoîte ainsi qu’aux sages-femmes qui avaient le monopole des accouchements et jouissaient de la considération de tous.
Ajoutons que les femmes en Pays basque figuraient comme témoins dans les actes de l’état civil et dans les actes notariés, ou comme arbitres pour trancher des litiges.
La femme, en Pays basque, n’était donc pas frappée d’incapacité. Mais la Révolution française en 1789 intégra les trois provinces basques dans la France, une et indivisible. Un régime juridique unique fut imposé à tous les Français. Avec le Code civil de 1804, le droit romain, individualiste, triompha. Les femmes mariées, incapables juridiquement, étaient soumises à l’autorité de leur mari. Mais notre législation s’éloigne de plus en plus du droit romano-canonique qui l’a si longtemps influencée. L’égalité entre l’homme et la femme a été réalisée par les deux grandes réformes du 13 juillet 1965 et du 23 décembre 1985. La femme basque a enfin retrouvé la condition juridique élevée qui était la sienne sous l’Ancien Régime.
1 Avitin vient de avus : grand-père en latin ou avitus : qui vient des aïeux. Papoal vient du gascon papoun : grand-père. Le gascon était la langue officielle des provinces basques françaises avant l’ordonnance de Villers-Cotterets de 1539 qui imposa la langue française pour tous les actes officiels.
2 Art. 1 du titre 5 de la Coutume de Labourd, art. 1 du titre 17 de la Coutume de Soule et art. 2 de la rubrique 20 du For de Basse-Navarre. Les biens avitins étaient indisponibles, sauf urgente nécessité qui devait être constatée par quatre proches parents ou voisins, ou sauf si l’héritier émancipé donnait son consentement. Un bien ainsi vendu pouvait toujours être racheté, sans condition , par le vendeur ou son héritier de n’importe quelle génération, au prix où il avait été vendu. Ce droit de retrait lignager était imprescriptible en Labourd : art.4 du titre 6 de la Coutume ; en Soule, il était limité à 41 ans : art. 1 du titre 19. En Basse-Navarre, où le For était de rédaction tardive, des parcelles pouvaient être démembrées et aliénées dans des cas précis énumérés dans l’art. 3 de la rubrique 20 du For et le retrait lignager était, comme en droit commun coutumier, limité à un an et un jour : art. 2 de la rubrique 22.
3 Art. 4 du titre 11 de la Coutume de Labourd, art. 4 du titre 26 de la Coutume de Soule et art. 6 de la rubrique 27 du For de Basse-Navarre.
4 Art. 3 du titre 12 de la Coutume.
5 Art. 1 du titre 12 de la Coutume.
6 Art. 2 du titre 12.
7 Il s’agissait des maisons, ailleurs appelées censitaires, qui payaient un « fief » ou cens à un seigneur foncier.
8 En Labourd, de 1774 à 1789, il y eut 82,42 % de contrats de mariage concernant un enfant héritier et un cadet, dont 51 % d’héritiers et 49 % d’héritières. Les mariages entre deux enfants héritiers qui avaient pour conséquence la fusion de deux domaines, étaient très rares : 2,91 % seulement : Maïté LAFOURCADE , Mariages...,op.cit., p. 38-39.
9 Arts. 1 et 6 du titre 5 de la Coutume de Labourd, arts. 1 et 4 du titre 17 de la Coutume de Soule. En Basse-Navarre, chaque couple pouvait disposer de la moitié des biens assignés en mariage :art. 8 de la rubrique 24 du For ; mais, de rédaction tardive, ce For reflète bien mal le droit basque.
10 Art. 6 du titre 9 de la Coutume de Labourd, art. 5 du titre 24 de la Coutume de Soule.
11 Art. 10 du titre 12 de la Coutume de Labourd.
12 Art. 1 du titre 9 de la Coutume de Labourd, art. 1 du titre 24 de la Coutume de Soule, art. 2 de la rubrique 25 du For de Basse-Navarre.
13 Art. 2 du titre 9 de la Coutume de Labourd, art. 2 de la rubrique 24 de la Coutume de Soule. Le For de Basse-Navarre, rédigé un siècle plus tard, ne prévoyait pas cette liberté de la femme exerçant une profession séparée : le mari pouvait disposer des acquêts réalisés par les deux époux durant leur mariage, quelle que fût leur origine :art. 2 de la rubrique 25 et les deux époux pouvaient en disposer par testament ou autre acte de dernière volonté : art. 3.
14 Art. 9 du titre 9 de la Coutume de Labourd, art. 8 du titre 24 de la Coutume de Soule.
15 Art. 10 du titre 9 de la Coutume de Labourd, art. 9 du titre 24 de la Coutume de Soule.
16 Art. 11 du titre 9 de la Coutume de Labourd, art.10 du titre 24 de la Coutume de Soule.
17 Art. 21 du titre 12 de la Coutume de Labourd, art. 35 du titre 27 de la Coutume de Soule, art. 4 de la rubrique 27 du For de Basse-Navarre.
18 Art. 3 du titre 11 de la Coutume de Labourd, art. 3 du titre 26 de la Coutume de Soule, art. 4 de la rubrique 27 du For de Basse-Navarre.
19 Art. 20 du titre 12 de la Coutume de Labourd, art. 7 de la rubrique 27 du For de Basse-Navarre. La Coutume de Soule ne reproduit pas cet article, mais l’exclusion des enfants établis devait être une coutume établie en Soule comme en Labourd et en Basse-Navarre.
20 Art 12 du titre 9 de la Coutume de Labourd.
21 La réversion de dot était garantie par une hypothèque sur les biens de l’époux héritier. En Soule, la Coutume précisait que le conjoint dotal avait une hypothèque privilégiée et qu’il passait avant les autres créanciers excepté le roi et le seigneur, mais ce privilège était limité à la dernière dot : arts. 21 à 23 du titre 29. Le For de Basse-Navarre précisait au contraire que le conjoint dotal n’avait aucun privilège par rapport aux créanciers hypothécaires antérieurs au mariage : art. 11 de la rubrique 25, mais il obligeait celui qui recevait la dot à la colloquer en fonds solvable : art. 10.
22 Art. 15 du titre 9 de la Coutume de Labourd. La Coutume de Soule et le For de Basse-Navarre ne mentionnent pas la réserve du lit nuptial : arts. 15 et 16 du titre 24 da la Coutume de Soule, arts. 5 et 6 de la rubrique 25 du For de Basse-Navarre.
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