Euskaldunak, l’Association des Basques du Québec, vous entraîne cette semaine dans la ville d’Ottawa, capitale du Canada, sur le bord de la rivière des Outaouais. Les Basques ne sont pas inconnus dans la région, puisqu’à quelques minutes d’Ottawa se dresse le Musée Canadien des Civilisations où l’on peut visiter, comme des milliers d’étudiants chaque année, une exposition permanente sur l’histoire du Canada depuis ses origines jusqu’à nos jours. On y apprend, entre autres, que dès 1530 et jusqu’en 1600 des baleiniers basques s’aventuraient sur les côtes canadiennes et commerçaient avec les populations autochtones. Des reproductions d’une chaloupe et de divers objets (harpons, poteries, tuiles, etc.) témoignent du legs basque sur ces terres.
![]() |
|
Ana Iriondo. |
Ana est née et a grandi à Donostia. Jusqu’à l’âge de quatre ans, elle parle le basque mais elle commence alors à fréquenter l’école et c’est l’espagnol qui prend le dessus. À dix-neuf ans, elle quitte le Pays Basque pour Londres. Elle y apprend l’anglais avant de prendre, un an plus tard, le chemin de Madrid et de trouver un emploi à l’ambassade du Canada, où elle rencontre son futur mari, John Bryson, un diplomate canadien. Dès lors, c’est la vie diplomatique qui débute et l’entraîne entre autres à Bogota, Bruxelles, Vienne, jusqu'à ce qu'elle vienne s’installer définitivement à Ottawa, il y a une dizaine d’années.
Ana profite de ses voyages pour alimenter et perfectionner sa grande passion depuis toujours, la peinture: “Après ma famille, c’est la peinture qui remplit ma vie. Je peins dès que je le peux. [...]. J’ai d’ailleurs décoré notre salle à manger d’Ottawa d’une vue de la Baie de la Concha1.” Les tableaux d’Ana reflètent ses pèlerinages depuis une trentaine d’années2. On y retrouve les lieux, les paysages et les rencontres qui l’ont marquée, comme ce portrait de Yon Oñatibia, un des grands propagateurs de la culture basque aux États-Unis. À la fois homme de lettres et compositeur, il dut fuir son village natal d’Oiartzun lors du déclenchement de la guerre civile espagnole et fut, durant une dizaine d’années, délégué du Gouvernement basque en exil à New York: “Yon Oñatibia était un ami et un voisin. C’était un homme aux multiples facettes. [...]. Lors de mon mariage à Oiartzun il a, au grand soulagement de tous, servi d’interprète entre la famille de mon mari et la mienne. C’est également lui qui, à la sortie de la messe, a préparé un aurresku magistral qui m’avait beaucoup émue. À cette époque, la musique et la danse basques n’étaient pas vraiment autorisées en public. C’était un cadeau de mes aitatxos. Pour toutes ces raisons et bien d’autres encore, j’ai peint son portrait dans les années 80.”
Ce n’est pas uniquement à travers ses toiles qu’Ana garde le contact avec le Pays Basque puisque, depuis bientôt trente ans, elle retourne tous les ans à Oiartzun, le plus souvent avec son mari et ses enfants: “J’y trouve les forces nécessaires pour continuer à aller de l’avant. Tous me disent aurrera.” Elle a ainsi pu observer l’évolution de la situation politique et culturelle au Pays Basque depuis les années les plus sombres, “dans les années 70 on ressentait une terrible oppression, je me souviens encore de ces messes en euskara à Madrid, où nous devions nous rendre en cachette, sans que personne ne le sache”, jusqu’aux premières résurgences de la culture basque: “En 1980, lors d’une de mes nombreuses visites, je résidais alors à Bruxelles, nous arrivions par la route de Biarritz, et je commençais à apercevoir les Peñas de Aia (les Trois Couronnes), [...] lorsque mes enfants ont distingué une inscription sur un panneau d’autoroute qui indiquait OIARTZUN (et non plus “Oyarzun”) et m’on fait remarquer que l’orthographe avait changé. [...]. Les années 80 marquèrent le retour de l’euskara. L’été, sur les plages, j’ai commencé à entendre des mères s’adresser à leurs enfants en euskara.”
![]() |
|
Potrait de Yon Oñatibia. |
Ces années à parcourir le monde ont également réservé de belles surprises à Ana. Ainsi, lorsqu’elle organisa en 1980 un souper diplomatique à Bruxelles et vit apparaître parmi ses invités une amie d’enfance. Ou encore en 2000, lorsqu’elle se rend dans les locaux de HABE3, à Donostia, afin d’en apprendre un peu plus sur les Euskal Etxe canadiennes dans l’optique de développer un réseau basque à Ottawa: “On m’a alors appris qu’il n’y avait qu’une seule Euskal Etxe reconnue au Canada4, à Vancouver, et que sa présidente était Elena Sommer, une camarade de classe et amie d’enfance depuis l’âge de quatre ans. Le hasard nous avait fait nous retrouver à Ottawa et Montréal au début des années 80, mais nous nous étions depuis perdues de vue.” Inutile de préciser que depuis, Elena et Ana continuent d’entretenir une solide amitié à distance, ponctuée par des visites régulières.
Son éloignement du Pays Basque n’a en rien affecté l’identité d’Ana. Avec le temps, elle se sent de plus en plus proche de ses origines: “Basques de l’intérieur ou de l’extérieur, nous sommes tous Basques, mais nous le vivons de façon différente, c’est très enrichissant.” Même s’il peut exister quelques petites différences: “Ceux qui vivent au Pays Basque côtoient la réalité quotidienne, [...] à l’étranger nous vivons, je pense, avec des souvenirs qui sont parfois idéalisés.” Peu importe également si, comme bon nombre d’émigrants, Ana ne parle pas l’euskara. Elle connaît son histoire et sait défendre sa culture: “Une langue est essentielle pour déterminer l’origine d’une personne mais si on connaît l’histoire du Pays Basque, on comprend que deux générations ont, à partir de 1936, subi une grande oppression ainsi que l’élimination systématique et silencieuse de leur culture. On ne pourra jamais récupérer cela, mais on peut surmonter ces faits et c’est ce qui est en train de se produire, avec la langue du moins.”
Ses racines basques, Ana a également voulu les prolonger à travers ses enfants. Tous les quatre, Ion Sebastian, Alex, Patrick et Benjamin portent, comme le souhaitaient leurs parents, des prénoms dont la prononciation est identique en basque et en anglais. Trois d’entre eux ont été baptisés à Oiartzun et ils gardent dans leurs coeurs des souvenirs indélébiles de leurs nombreux séjours dans le village maternel. Leur mère, une femme de principes, a surtout souhaité leur transmettre ce qu’elle considère comme des valeurs basques essentielles: noblesse, loyauté et respect.
![]() |
Ana Iriondo. |
Aujourd’hui, Ana souhaite que ces valeurs perdurent dans son Pays Basque et que l’héritage culturel se transmette aux nouvelles générations. Ces dernières décennies, elle a vu la télévision et l’informatique envahir les chaumières, au risque de détourner les plus jeunes de leur culture. Elle espère que le Gouvernement autonome basque saura faire preuve d’intelligence et d’innovation et “utilisera ces nouveaux éléments pour mieux former la jeunesse basque”. Ana estime que l’on peut profiter des moyens de communication modernes afin, par exemple, de faire mieux connaître les artistes ou les personnages historiques qui font partie du patrimoine basque. Pour elle, le lien intergénérationnel est en quelque sorte le moteur de la culture: “Un Basque peut transmettre sa culture par divers moyens, que ce soit à travers la langue, les arts, la musique, etc. Il faut utiliser tous les moyens à notre disposition pour la diffuser, notamment auprès des plus jeunes, pour qu’à leur tour ils puissent l’assimiler et la transmettre aux générations suivantes.”
1 Baie de la Concha, très connue à Donostia/Saint-Sébastien.
2 Les oeuvres d’Ana Iriondo sont accessibles sur son site web http://www.anairiondodebryson.cjb.net.
3 HABE, Helduen Alfabetatze eta Berreuskalduntzerako Erakundea (Organisme pour l'alphabétisation et la rebasquisation des adultes).
4 Une autre association a été récemment reconnue au sein du réseau mondial des Centres basques: l'association Euskaldunak de Montréal.
Est-ce que vous voulez collaborer avec Euskonews? Envoyez vos propositions d'articles
Arbaso Elkarteak Eusko Ikaskuntzari 2005eko Artetsu sarietako bat eman dio Euskonewseko Artisautza atalarengatik
Astekari elektronikoari Merezimenduzko Saria
![]() | Aurreko Aleetan |