La correspondance de François Xavier (I/III)

Véronique DUCHE-GAVET, Université de Pau et des Pays de l’Adour

Pour fêter le cinquième centenaire de la naissance de François Xavier, je voudrais évoquer une facette peu connue du premier grand missionnaire jésuite, le François Xavier épistolier. La correspondance de François Xavier, qui a fait l’objet de plusieurs éditions et traductions, comporte en effet une centaine de lettres. Adressées à Ignace de Loyola, à ses compagnons restés à Rome, ou à des amis, ces missives reconstituent l’itinéraire de François Xavier, de Paris à Rome jusqu’aux Indes et au Japon. Au fil des lettres, rédigées de l’année 1535 à l’année 1552, nous découvrons ainsi un François Xavier apôtre, missionnaire ou explorateur. Bref, nous découvrons un homme, un homme d’exception.

Je vous propose de feuilleter une dizaine de ces lettres, pour accompagner François Xavier sur son chemin, et partager ses doutes et ses joies1.

Présentation de la correspondance

  François Xavier
François Xavier.
Les lettres que nous avons gardées couvrent les années 1535-1552, c’est-à-dire les dix-sept dernières années de la vie de François Xavier. Elles sont au nombre de 108, ce qui est finalement assez peu. Nous y adjoindrons 29 documents, comme des instructions que François Xavier a laissées à ses catéchistes ou à ses compagnons, ou des prières, pour obtenir un corpus de 137 textes. Nous avons la certitude qu’il y en a eu au moins 89 autres, mais ces lettres ont malheureusement disparu.

Cependant sur ces 137 lettres et documents, 95 sont des copies, contemporaines ou non : « Ne restent que 33 originaux et demi, dont 8 seulement sont dus à la plume de Xavier lui-même. »2 On ne peut donc s’empêcher d’éprouver une certaine déception, en pensant que 8 seulement des lettres de François Xavier sont autographes.

On peut se demander pourquoi nous avons conservé si peu de pièces de la correspondance du missionnaire. La raison se comprend aisément. D’une part l’éloignement dans le temps rend la conservation des documents plus délicate. Mais surtout, après la béatification de François Xavier en 1619, puis sa canonisation par le pape Grégoire XV en 1622, la même année qu’Ignace de Loyola, tout objet ayant appartenu au missionnaire a pris le statut de relique. Les huit lettres autographes sont donc d’autant plus précieuses, même si la signature manque parfois, car elle a été soigneusement découpée pour être conservée !

Nous n’avons gardé malheureusement aucun document rédigé en langue basque ou française. Les lettres sont rédigées en latin, en italien, en portugais ou en castillan. Aucune n’est donc rédigée dans la langue maternelle de François Xavier, le basque, comme il l’écrit lui-même dans l’une de ses missives : « je ne les comprenais pas, parce que leur langue maternelle est le malabar et la mienne le biscaïen »3.

La langue la plus utilisée par François Xavier est le portugais, ce qui s’explique dans la mesure où il a été missionné en Asie par le roi du Portugal, Jean III. On compte donc 91 textes en portugais, contre 33 en espagnol, 2 mêlant les deux langues.

Mais ce qui complique la chose est que parfois l’on ne connaît ces textes de François Xavier que par des traductions latines, italiennes ou espagnoles. L’original a disparu depuis longtemps. On a souvent ainsi du mal à distinguer ce qui serait propre à l’écriture du missionnaire, ce qui relèverait de son style particulier, de ce qui appartient au traducteur, à l’adaptateur. « Ce panachage linguistique […] contribue au naufrage du style »4.

1) Nous n’avons pas gardé de lettre antérieure à 1535. Il est vrai que jusqu’en 1525, François Xavier est resté dans sa Navarre natale, menant une vie plutôt solitaire en l’absence de ses deux frères partis combattre l’envahisseur castillan, Charles Quint. (En vain, puisque tout le Sud de la Navarre sera annexé.)

La plus ancienne lettre que nous ayons conservée est une lettre familiale, que François adresse à son frère aîné, Jean de Azpilcueta. François Xavier utilise encore la signature « Francès ».

Écrite de Paris et datée du 25 mars 1535, elle témoigne des relations qui unissent François à son frère : on y voit une sorte de soumission féodale d’un vassal à son suzerain. De surcroît, le benjamin écrit pour demander de l’argent à son aîné. Ce dernier détient les cordons de la bourse, alors que François vit dans la pauvreté à Paris, où il poursuit ses études. Refusant de se rendre à l’Université d’Alcalá, pourtant plus proche, sans doute parce qu’elle se trouvait en Castille, il avait choisi d’étudier en France. Il avait l’ambition d’obtenir un doctorat en théologie, et avait déjà passé sa licence, puis sa maîtrise ès arts et fréquentait le collège Sainte-Barbe, avant de devenir régent au collège de Beauvais, pour gagner quelque argent.

François propose à son frère un moyen sûr de lui faire passer cet argent dont il a besoin : l’intermédiaire d’Ignace de Loyola, qui a le projet de quitter Paris pour se rendre en Espagne, et de passer donc par le château de Javier. Cette lettre évoque donc l’amitié qui unit déjà les deux compatriotes, François Xavier et Ignace de Loyola. Les deux futurs jésuites se sont donc connus à Paris, où ils faisaient tous deux leurs études. Tout semblait pourtant opposer les deux hommes. Iñigo était plus âgé que François, et avait 44 ans en 1535. Il avait d’abord logé à Paris au collège de Montaigu, rival du collège de sainte Barbe où était François. De plus, il s’était battu à Pampelune en 1521 contre les Navarrais, peut-être même contre les frères de François. Iñigo professait une orthodoxie stricte et avait écrit un petit livret, les fameux Exercices Spirituels. Malgré toutes ces divergences, François Xavier finit par se laisser convaincre par Ignace de Loyola et adhéra à son grand projet.

Paris, le 25 mars 15355

Seigneur,
Par bien des voies et pour bien des motifs, j’ai écrit ces jours passés à Votre Grâce. La principale chose qui m’a poussé à lui écrire tant de fois est la grande dette que j’ai à son égard, car non seulement je suis le cadet de Votre Grâce, et Votre Grâce mon Seigneur, mais encore j’ai reçu d’elle tant de faveurs.
[…]
Je supplie très instamment Votre Grâce de ne pas négliger de s’ouvrir au Seigneur Iñigo et de converser avec lui, ainsi que de croire ce qu’il lui dira, en sorte que Votre Grâce croie que, par ses conseils et sa conversation, elle s’en trouvera fort bien, car c’est tout à fait une personne de Dieu, de vie irréprochable. […] Par lui, Votre Grâce pourra s’informer de mes besoins et de mes peines mieux que par quiconque, car il est au courant de mes misères et de mes malheurs bien mieux que personne au monde.
Si Votre Grâce veut me faire la grâce de soulager ma pauvreté, elle pourra donner au Seigneur Iñigo, porteur de la présente lettre, ce que Votre Grâce ordonnera.
[…]
Très fidèle serviteur de Votre Grâce et son frère cadet.

Français de Xavier

  François Xavier et Ignace de Loyola.
François Xavier et Ignace de Loyola.
2) Le plus ancien document autographe que nous possédions est la déclaration de vœux de François, datée du 15 mars 1540. La future « Compagnie de Jésus » avait en effet accompli bien du chemin depuis ce 15 août 1534 où six compagnons avaient fait le « vœu de Monmartre ». Six compagnons autour d’Ignace de Loyola, dont François Xavier et Pierre Favre, qui partageaient la même chambre au collège Sainte Barbe, et qu’avaient rejoint un Portugais, Simon Rodriguez, deux Castillans, Jacques Laynez et Alphonse Salmeron, et un Tolédan, Nicolas Bodadilla. Tous les sept étaient animés du désir de suivre le Christ, de se dévouer aux plus pécheurs, aux plus pauvres. Ils avaient donc fait le vœu de se rendre à Jérusalem, « à l’apostolique », c’est-à-dire dans la plus stricte pauvreté, pour affronter le grand ennemi de la Chrétienté, le « Turc ». Et si quelque obstacle les empêchait de passer à Jérusalem, ils avaient projeté, après un an d’attente, de se mettre à la disposition absolue du « Vicaire du Christ », c’est-à-dire le Pape. Quelques années plus tard, une fois leurs études achevées, en 1537, les compagnons s’étaient donc rendus d’abord à Venise, où ils furent ordonnés prêtres et où trois autres compagnons avaient grossi leurs rangs, avant de retrouver Ignace de Loyola à Rome. Ces prêtres extraordinaires, dévoués aux pauvres et aux malades, attirèrent vite l’attention et furent très sollicités. Charles Quint les voulait aux Indes espagnoles, Jean III de Portugal aux Indes portugaises; les évêques et les princes de l’Italie du Nord qui les avaient vus à l’oeuvre, sollicitaient leur retour ; le Pape songeait à les utiliser comme Nonces, comme instruments de la réforme de l’Eglise. Comprenant que leur compagnonnage risquait d’être mis à mal, s’ils étaient dispersés dans tous les pays de la Chrétienté et même hors de la Chrétienté, ils décidèrent de former la Compagnie de Jésus, Ordre Religieux. Mais ce n’est que le 27 septembre 1541, que Paul III signa la Bulle Regimini militantis Ecclesiae, qui établit dans l’Eglise la Compagnie de Jésus. A cette date, nous le verrons, François aura déjà quitté Rome et sera parti vers son grand destin.

En ce début de l’année 1540, Jean III de Portugal avait obtenu du Pape que deux des Compagnons fussent affectés aux jeunes missions des Indes. Ce sont Rodriguez et Bobadilla qui furent choisis. François Xavier devait rester secrétaire à Rome. Bobadilla fut donc rappelé de Naples à Rome, mais il arriva dans un état de santé si délabré que son départ était impensable. François fut donc désigné pour le remplacer et quitta Rome pour Lisbonne. Mais il laissa à ses compagnons trois lettres cachetées à n’ouvrir que si le pape Paul III approuvait la Compagnie de Jésus.

Ce sont ces trois documents qui nous intéressent. Le premier contient sa délégation de pouvoirs aux autres Compagnons ; le second son vote (en faveur d’Ignace de Loyola, ou si celui-ci venait à manquer, en faveur de Pierre Favre) pour l’élection du futur Préposé Général ; la troisième confie à Laynez le soin de faire sa profession religieuse entre les mains du futur Général6.

Moi, François, je dis ceci : si Sa Sainteté approuve notre manière de vivre, je suis disposé à accepter tout ce que la Compagnie ordonnera à propos de toutes nos Constitutions, de nos règles et de notre manière de vivre, lors de l’assemblée à Rome de ceux que la Compagnie aura pu aisément convoquer et appeler ; étant donné que Sa Sainteté envoie beaucoup d’entre nous en de diverses contrées situées hors de l’Italie, et que tous ne pourront pas se joindre à cette assemblée, je promets, par cette déclaration, d’accepter tout ce qu’ordonneront ceux qui pourront s’assembler, qu’ils soient deux, ou trois, ou ceux qui viendront ; ainsi, par la présente lettre signée de ma main, je donne ma promesse d’accepter tout ce que, eux, ils feront.

Ecrite à Rome en l’année de 1540, le 15 mars. François.

De même, moi, François, je dis affirmer que n’ayant en aucune façon subi l’influence de personne, je juge que celui qui doit être élu supérieur de notre Compagnie, et à qui nous devons tous obéir, me semble devoir être, pour parler selon ma conscience, notre véritable père Don Ignace. C’est lui qui nous a tous assemblés, et non sans peine ; il saura nous conserver, nous gouverner, et nous faire croître de mieux en mieux, car c’est lui qui est le plus au courant de chacun d’entre nous ; et après sa mort, pour parler ainsi d’après ce que je ressens en mon âme, comme si je devais mourir à l’instant, ce que je dis, c’est que ce soit le Père Maître Pierre Favre. Et sur ce sujet, Dieu m’est témoin que je ne dis rien d’autre que ce que je ressens ; et parce que c’est la vérité, je fais la signature de ma propre main.

Ecrite à Rome en l’année de 1540, le 15 mars. François.

De même que, après que la Compagnie se soit assemblée et ait élu le supérieur, moi François, je promets dès maintenant et pour alors, obéissance, pauvreté et chasteté perpétuelles. Ainsi Laínez, mon père très cher dans le Christ, je vous prie, pour le service de Dieu notre Seigneur, de représenter ma volonté, en mon absence, avec les trois vœux de religion, auprès du supérieur que vous élirez, car de maintenant jusqu’au jour où cela se fera, je promets de les observer. Parce que c’est la vérité, je fais le présent seing, signé de ma propre main.

Ecrite à Rome en l’année de 1540, le 15 mars. François.

Ces documents rédigés en castillan figurent parmi les rares autographes de François Xavier que nous possédions.

Asimismo, después que la Compañia se hubiere juntado y elegido el perlado, yo, Francisco, prometo agora para entonces perpetua obediencia, pobreza y castidad ; y así, padremío en Cristo carísimo Laínez, os ruego por servicio de Dios nuestro Señor, que en mi absencia, vos, por mí, presentéis esta mi voluntad, con los tres votos de religión, al perlado que eligiéredes, porque desde agora, para el día que se hiciere, prometo de los guardar : y porque es verdad hago la presente firma, signada de mi propria mano.

Escrita en Roma año 1540, a 15 de marzo. Francisco.

Le 5 avril 1541, Ignace de Loyola, après avoir récusé deux fois le vote de ses compagnons, accepta la charge de Préposé Général. Le destin de la Compagnie de Jésus était en route. On sait avec quel zèle François Xavier contribuera à la promouvoir.

3) Le 7 avril 1551, le jour anniversaire de sa naissance, François Xavier embarque avec deux compagnons sur le Santiago qui emmène le nouveau vice-roi du Portugal, Martin de Sousa, vers les Indes. Il part de Lisbonne, sans être repassé par sa Navarre natale.

L’île de Mozambique, comptoir portugais, représentait la première halte obligée sur la route des Indes. François Xavier y parvient vers la fin d’août ou le début de septembre, après cinq mois d’un voyage éprouvant, « entre les dangers de l’Océan trop paisible ou trop agités, et ceux nés du confinement de quatre à cinq cents personnes sur un espace minuscule »7.

Mozambique, le 1er janvier 15428
Aux compagnons vivant à Rome

À mon départ, je vous ai écrit sur tout ce qui se passait là-bas, à Lisbonne d’où nous sommes partis le sept avril de l’an 1541. J’ai eu le mal de mer pendant deux mois, et nous avons beaucoup souffert durant quarante jours le long de la côte de Guinée, aussi bien en raison des calmes plats que faute d’être aidés par les vents. Dieu notre Seigneur a bien voulu nous accorder la grande grâce de nous conduire jusqu’à une île, dans laquelle nous nous trouvons jusqu’à présent.

Je suis sûr que vous allez vous réjouir dans le Seigneur en apprenant que Dieu notre Seigneur a bien voulu se servir de nous pour servir ses serviteurs, puisque, sitôt arrivés, nous avons pris la charge des pauvres malades qui étaient arrivés à bord de la flotte. C’est ainsi que, pour ma part, je me suis consacré à les confesser, leur donner la communion et les aider à bien mourir […].

Durant ma traversée, j’ai prêché tous les dimanches, et ici, à Mozambique, aussi souvent que je l’ai pu. […]

J’aurais beaucoup désiré vous écrire plus longuement, mais à présent la maladie m’en empêche. On m’a saigné aujourd’hui pour la septième fois et je me trouve dans un état médiocre, Dieu soit loué !

François

 

1 Nous utiliserons les éditions suivantes :
Saint François Xavier, Correspondance 1535-1552 – Lettres et documents, trad., présentat., notes et index de Hugues Didier, Paris, Desclée de Brouwer Bellarmin, coll. Christus n° 64, 1987; Cartas y escritos de San Francisco Javier, éd. Felix Zubillaga, Madrid, Biblioteca de Autores Cristianos, 1996 (4e éd.).

2 Correspondance, op. cit., Introduction, p. 8.

3 Correspondance, p. 103.

4 Correspondance, p. 9.

5 Copie du XVIIe siècle. Correspondance, p. 35 et suivantes.

6 Correspondance, p. 43 et suivantes.

7 Correspondance, p. 73.

8 Copie datant des années 1542-1543.

La correspondance de François Xavier (II/III)

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