Charles Videgain: Prix d’Honneur Culture Basque 2007Escuchar artículo - Artikulua entzun

Charles VIDEGAIN, Professeur de langue et littérature basque à la Faculté Pluridisciplinaire de Bayonne
Euskaraz

R
  Charles Videgain
Charles Videgain.
emise du Prix d’Honneur Culture Basque
Ville de Bayonne - Eusko Ikaskuntza
à Charles VIDEGAIN le 7 décembre 2007

Charles Videgain-en esker onak

Monsieur le Député-maire de Bayonne,
Mesdames,
Messieurs,

Je vous remercie tous de l’honneur que vous me faites de tenir cette cérémonie à laquelle je ne songeais pas il y a quelques semaines : certes je travaille  pour la langue et la culture basque, mais comme bien d’autres et je suis sensible au fait que la ville de Bayonne et l’association Eusko Ikaskuntza aient voulu marquer leur intérêt pour mes divers chantiers de recherches.

Je suis honoré du fait que cette distinction me soit décernée dans ma ville natale. Je n’ai pas le temps ni l’intention de vous assener mes souvenirs de vieux Bayonnais. Je m’abriterai pour cela derrière la réflexion d’un grand bayonnais, spécialiste de la mémoire, le docteur Jean Delay, qui disait : “La disparition est l’évolution naturelle des souvenirs”. Il ajoute un peu narquois : ŒJ’ai fait cela, dit ma mémoire, je n’ai pas fait cela, dit mon orgueil.  C’est la mémoire qui cède.  

Que la mémoire flanche ou pas, en cet instant me viennent pourtant à l’esprit mes jeunes années durant lesquelles j’étais en quelque sorte  basque sans le savoir mais était-ce alors être basque ?  Certes je suis né dans une clinique qui s’appelait Ama haurra, ce qui était un bon début : le médecin de famille étant le docteur Gaudeul, conseiller municipal (toute remarque sur le poids des médecins à Bayonne n’est que le fruit du hasard). Mon père, né dans un moulin aux Aldudes, vivait déjà à Bayonne, il travailla toujours chez Hostein. Un mot sur le sport élément d’intégration s’il n’aliène pas outre mesure. Mon père fut membre de la Vigilante puis des Croisés de Saint-André, coureur à pied à l’Aviron Bayonnais, où j’ai couru aussi mais moins vite, mon fils ayant pris le relais à bicyclette en gagnant cet été à Pampelune ville jumelée sous les couleurs du Guidon Bayonnais, ce dont je suis très fier. Ma fille si elle  n’était ailleurs pour ses études hanterait sans doute l’équipe de rugby des filles de l’ASB.

Dans la rue Vieille-Boucherie où ne plane  plus guère l’ombre de Saint-Cyran, s’étaient installés mes parents après avoir abandonné la rue des Basques où ils s’étaient mariés, ma mère étant venue du  pays d’Ostabarret ; là  se mêlaient noms basques, gascons ou d’autres origines  entre les Artigou,  Laxalde, Passas Lafont , Trey, Tauzy, Thorez, Daguerresar, Sanchez, Gondel et Martinon : la rue des Faures nous fournissait ses Damestoy, Gonzalez, Lestanguet, Lans, Lonné  Luyer-Tanné, Gimond, Ducout,  Thomas. Là résidait notre empire, la fabrique de makila en haut de la rue Vieille boucherie servant de  charnière entre les deux rues. Les autres rues étaient un monde quasi exotique, les Larrieu, Navailles Lacoste de la rue d’Espagne ne jouaient pas avec nous, ni les Bisbau ou Lasserre de la rue Passemillion, même la place Montaut était un autre territoire ; le hasard y réunissant les noms de Boudjima et  de Sarrasin. A l’école de la rue de Luc, Unanué, Vionnet, Mihura, Caplanne Justède étaient dégrossis par le Frère Paul Carrère ou Mlle Landa qui allait ensuite devenir Mme Herrera.  Et Monsieur Garcia Larrache m’y a inculqué les rudiments d’espagnol.

Ce qui me frappe rétrospectivement est que ceux qui pouvaient entendre ou parler basque à la maison ne songeaient pas à le faire dans la rue et nous avions totalement intériorisé cette distribution des langues que les savants appellent aujourd’hui diglossique. Sur l’asphalte et sur les remparts, dans les commerces, on parlait français, le basque était bon pour Arhansus et Saint-Just et pour les parents de la campagne qui venaient nous voir le jeudi à Bayonne.

Le temps a passé, les choses ont un peu changé, entre une situation de la langue basque moins subalterne mais une transmission familiale peu assurée. Quand il décrit le Bayonne de son enfance, Roland Barthes se souvient entre autres des épiceries obscures, de la cire des vieux bois, des cages d’escalier sans air et conclut “je me rappelle avec folie les odeurs : c’est que je vieillis”. Je vieillis aussi mais ce que je tente de récupérer sans succès de ces années-là est la couleur des langues : par delà le français parlé à Bayonne je tente de restituer le basque plein de ma grand-mère Zaldua venue d’Elvetea, celui plus proche pour moi des bas-navarrais, l’espagnol sonore des tantes Cuartero venues de Sos el Rey, le gascon que je discernais  auprès des pêcheurs de pigates ou coulaquines.  

Il existe en basque une expression peu connue, on se demande pourquoi, et qui s’utilise quand on veut exprimer que quelque chose a une valeur inestimable : Ah balio luke Baiona !. Ah cela vaudrait tout Bayonne ! Je ne  puis que souscrire à cette formule puisqu’aujourd’hui  c’est à Bayonne que j’ai la chance d’être un professionnel de la langue.  Depuis Bayonne ou de Bayonne étant comme il ne faut pas dire, en participant au chantier de l’Atlas linguistique basque sous l’égide d’Euskaltzaindia j’ai pu accéder à l’étude de la langue dans toutes ses variantes, depuis Bayonne par mes responsabilités universitaires, surtout grâce au laboratoire IKER du CNRS je m’occupe avec d’autres d’une revue qui s’appelle Lapurdum, je m’intéresse à d’autres langues, de l’occitan au corse en passant par le catalan, et depuis Bayonne enfin je travaille sur un atlas linguistique européen, je peux comparer la langue basque à bien d’autres parlers et observer combien elle est normale en dépit de son statut fragile et qui inspire l’inquiétude du citoyen que je suis. Je puis ainsi travailler à mes domaines de prédilection qui sont les lexiques spécialisés et les changements géolinguistiques.  Je vous avoue que dans ma situation Bayonne constitue une attache qui m’aide certainement à y travailler dans une relative sérénité.

Autant dire que l’honneur que vous me faites m’est une cure de jouvence qui m’encourage à poursuivre à mettre à disposition de la communauté scientifique, du pays basque et de sa capitale les divers travaux que j’ai mis en route et qui devraient bientôt, pas trop tardivement je l’espère,  arriver à bon port.

J’ai dit. Izan ongi.

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