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Quelques aspects sur l’univers féminin et le mal dans l’œœuvre de fiction d’Espido Freire

Samuel RODRÍGUEZ, Université Paris-Sorbonne

Nous offrons un résumé de la thèse intitulée « Univers féminin et mal dans l’œuvre de fiction d’Espido Freire », soutenue le vendredi 7 octobre à l’Université Paris-Sorbonne sous la direction de M. Sadi Lakhdari (Université Paris-Sorbonne) et la co-direction de Mme. Carmen Valcárcel Rivera (Université Autonome de Madrid). Elle a obtenu la mention très honorable avec félicitations du jury.

Espido Freire (Bilbao, 1974) est, malgré sa jeunesse, une écrivaine consacrée dans la littérature espagnole. Elle eut une formation musicale intensive qui lui permit de réaliser des tournées internationales dans la troupe du ténor Josep Carreras. Néanmoins, déçue de l’opéra et après être tombée dans la boulimie, elle décida d’abandonner sa carrière musicale. Elle fit une licence d’Anglais à l’Université de Deusto. Son intérêt pour la littérature commença très tôt. Adolescente, elle écrivit des contes, dont Irlanda (1998), publié sous forme de roman grâce au soutien de son professeur Ángel García Galiano. Ce roman, qui obtint le prix Millepage, fut suivi du roman Donde siempre es octubre (1999) et, quelques mois plus tard, Melocotones helados, qui remporta le « Premio Planeta », devenant à l’âge de 25 ans le plus jeune écrivain à posséder ce prestigieux prix. Espido Freire a continué à cultiver le roman ainsi que d’autres genres (conte, essai, poésie). Pourtant, au niveau scientifique, les études sérieuses sur son œuvre ne sont pas nombreuses. En France cette écrivaine est presque méconnue des lecteurs et même dans les cercles universitaires, son œuvre n’a pas encore été répandue. Il est donc nécessaire de réaliser une étude en profondeur de cet auteur qui permette d’un côté d’élucider son œuvre parmi les lecteurs hispanophones et, d’un autre côté, de diffuser littérairement Espido Freire dans le monde francophone.

Conférence Le mal dans mon œ uvre par Espido Freire

Conférence Le mal dans mon œ uvre par Espido Freire le 20 mai 2016 au Colegio de España de Paris, présentée et organisée par Samuel Rodríguez.

Dans notre travail nous considerons qu’Espido Freire nous plonge dans un univers littéraire catalyseur du mal considéré comme une substance universelle possédant sa propre entité, construit à travers l’altérité et la violence symbolique qui peut conduire à la rébellion des personnages féminins —les éternels protagonistes de son œuvre—, participant eux aussi au mal, parfois au-delà du symbolique. Mais le mal est un concept profondément vaste et polysémique chez un sujet marqué par l’angoisse, la « maladie mortelle » kierkegaardienne. La violence peut être l’une de ses conséquences immédiates. Pourtant, souvent nous considérons aussi bien le mal que la violence d’après leur apparence externe et d’après l’altérité. Le mal c’est les autres, la violence est ostensible. Par contre, l’œuvre d’Espido Freire renvoie au mal caché chez tous et toutes, où habite une violence subtile exercée fréquemment à travers des voix symboliques, invisibles pour les personnages, notamment les féminins.

La violence (symbolique ou non) chez Espido Freire se construit à travers la suggestion du mal et l’universelle « intention » (Gesinnung) kantienne du sujet angoissé de faire le mal. Il faut donc déployer les concepts de mal, d’angoisse, de mort —liée au principe de contingence angoissante— et de violence par rapport au réseau complexe des personnages féminins —oppresseurs et opprimés— qui font partie de l’œuvre d’Espido Freire, notamment dans les sept romans que nous analysons ainsi que dans ses contes. Au-delà du profond débat philosophique autour de cette éternelle (non) susbtance représentée par le mal, nous avons recours à des outils psychiatriques, psychanalytiques, sociologiques, narratologiques et picturaux permettant d’élucider le phénomène de la projection du mal et de la violence ainsi que les études de genre et la musique, qui participe au dialogue interdiscursif avec le texte littéraire à l’aide des formes, des leitmotive et des textures qui offrent un dialogisme bakhtien de « polyphonie textuelle ».

L’œuvre d’Espido Freire ouvre les portes du chemin circulaire vers les délicieuses et obscures cavernes de l’être humain. Irlanda (1998), Donde siempre es octubre (1999), Melocotones helados (1999), Diabulus in musica (2001), Nos espera la noche (2003), Soria Moria et La flor del norte (2011). Sept  romans qui prouvent que le mal canalysé à travers les personnages féminins est à la base de la construction de son œuvre, ainsi que l’éternelle lutte du bien et du mal et la mort, physique ou symbolique. Il existe d’autres motifs tels que le dédoublement de l’identité en tant qu’image du mal, l’eau en tant que prolongation du miroir qui séduit et invite à un trompeur repos éternel, le labyrinthe et son rapport avec le temps cyclique qui reproduit éternellement le mal, la musique en tant que métaphore sonore de la mélancolie et du mal, les fantômes, la jalousie et l’hystérie ou les enfants et leurs jeux en tant que doux et trompeurs signes du mal. Il existe aussi l’oubli et les histoires non racontées, seulement pressenties, ainsi que l’incommunication et la solitude des personnages. Ceci est construit à l’aide d’un temps circulaire avec de nombreuses anachronies. L’anaphore, l’alitération et la répétion construissent un rythme et une intensité in crescendo. À ce propos, l’usage de l’ellipse ou la parallipse est fondammental, ce qui lui permet de peser et d’omettre intentionnellement des informations essentielles qui nous sont dévoilées d’une façon surprenante à la fin du récit à l’aide de l’analepse interne homodiégétique (complétive ou non). La perspective est marquée par l’usage d’un narrateur homodiégétique-intradiégétique, ou bien d’un narrateur hétérodiégétique mais, tout comme chez Henry James, selon la perspective du protagoniste. Espido Freire emploie souvent la vision « polyphonique » ou « kaléidoscopique » qui combine les divers points de vue, ce qui favorise d’ailleurs la simultanéité temporelle, proche de l’expérimentation menée par Julio Cortázar, Mario Vargas Llosa ou Cristina Fernández Cubas. Quant à la perspective, il faut remarquer aussi l’usage fréquent de la mise en abyme, le récit métadiégétique, les métalepses et le monologue intérieur, mais c’est dans ses contes où Espido Freire expérimente le plus. 

La flor del norte

La flor del norte (2011).

Les personnages féminins vivent soumis, explicitement ou implicitement, à un système oppressif (social, éducatif, familial ou réligieux) réel ou imaginaire qui les mènent souvent à se rebeller malicieusement. À la différence du conte de fées les personnages ne sont pas manichéens mais, tout comme chez Ana María Matute, ils sont ambigus, capables —comme nous— de faire le bien et le mal. Ceci se reflète dans les typologies ambivalentes de ses personnages (femme « pseudofatale », fragile, méchante et victime-bourreau). Espido Freire transgresse le manichéisme du conte de fées et met en question ses modèles féminins : la femme n’attend pas le prince qui la libère du méfait du monstre, mais affronte toute seule le mal. Il n’existe pas de rémission. À la différence du conte de fées, il n’y a pas de morale. Le méfait, le mal, idiosyncrasiques au conte d’après Vladimir Propp, n’a pas de résolution. Ce qui donne du sens aux récits, à la vie, n’est pas la victoire mais la lutte. « La vida es tragedia, y la tragedia es perpetua lucha, sin victoria ni esperanza de ella; es contradicción » dit Miguel de Unamuno, car la lutte est constante, contre les autres mais aussi, et surtout, contre nous même. Elle est tragique car elle n’a pas de résolution. Elle est contradictoire, puisque elle nous oblige à faire face à nos pensées, qui essayent de nous cacher notre méchanceté. Pourtant, tout comme dans les contes de fées, l’athmosphère espidienne est marquée par l’atemporalité et l’imprécision géographique. C’est ainsi que métaphysiquement le temps —circonscrit au temps— manque de passé, de présent et d’avenir, « car chaque moment est entièrement la même chose que la somme des moments, un processus, une transition » selon Kierkegaard. Au niveau narratif le temps et l’espace n’ont aucune importance puisque, au fond, l’intrigue est un soutien pour atteindre des pensées universelles. Tout comme chez Borges, il s’agit d’un sens universalisant possédant deux niveaux narratifs : le concret et le conceptuel. L’absence de noms, caractéristique du conte de fées, participe au sens universalisant. En fait, l’originalité et la maîtrise de l’écrivaine par rapport à la création de l’espace narratif est le résultat de la localisation impossible dans l’espace, de sa négation, parce que l’espace authentique où se déroulent ses romans et ses contes est notre esprit. Oilea, Gyomaendrod, Desrein ou Duino ne sont pas de vrais villes mais un « effet de réel », réceptacles des pensées, de l’intangible, de l’abstrait.

Dans un mouvement circulaire —pressenti par Todorov— « de l’œuvre vers la littérature (ou le genre), et de la littérature (du genre) vers l’œuvre » Espido Freire voyage aux racines du mal à travers ses romans, car dans ce jeu du « rapport du signifié et du signifiant » développé par Barthes, les signes sont dépassés à travers le symbolique. En conséquence, le symbole auquel s’accroche Espido Freire nous raconte l’histoire de l’être humain, de nous, unis au courant toujours en mouvement qui coule cycliquement.

Le mal ouvre et ferme le cercle, la vie, le courant toujours en mouvement. Le mal est inhérent à nous, des êtres fugaces, inconstants, fragiles. Le mal est polysémique, se matérialise dans l’acte empirique ou non. Il est contradiction, donc nécessaire, puisqu’il fait partie du mouvement. Nous naissons seuls, et mourons seuls. En chemin, notre mal se joint à celui d’autrui, ils se touchent, partagent, luttent. Le pouvoir est juste une excuse. Il nous permet de projeter le mal dans l’autre, jouer avec lui, et en échapper sans faute ou, au moins, sans remords. C’est ainsi que nous proposons une particulière forme sonate composée d’un prélude et deux thèmes —l’univers féminin et le mal—, déployés à travers les septs romans d’Espido Freire, et une coda qui, comme la sonate cyclique, nous renvoie au point de départ, l’être humain, hommes et femmes unis inexorablement au mal.

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