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Maite ITHURBIDE
« Lire le conflit basque sous le prisme exclusif du rapport entre universel et particulier relève de l’imposture »
Membre d’Eusko Ikaskuntza, Thomas PIERRE est anthropologue. Il est associé à l’Institut Interdisciplinaire d’Anthropologie du Contemporain (Paris) et au Centre de recherches sur la langue et les textes basques (IKER-Baiona). Son ouvrage, Controverses institutionnelles en Pays Basque de France. Usages politiques et déconstructions des préjugés socioculturels, vient de paraître aux Editions L’Harmattan dans la collection Anthropologie du monde occidentale dirigée par Denis Laborde.
Votre ouvrage a pour titre Controverses institutionnelles en Pays Basque de France. Usages politiques et déconstructions des préjugés socioculturels. De quoi traite t-il ?
Je traite essentiellement de deux revendications, celle du Département Pays Basque et celle de la co-officialisation de l’euskara. Je tente de lire à travers les lignes et de comprendre pourquoi et comment les acteurs justifient la nature de leur militantisme. J’ai travaillé sur une période de sept ans, d’octobre 1999 à octobre 2006. Globalement, il apparaît que l’adhésion à l’idée de reconnaissance institutionnelle du fait basque dépend pour beaucoup de la relation individuelle à la culture basque elle-même. Pour faire simple, celui qui croit au caractère historique et dynamique de la culture basque a davantage de chance d’être favorable à sa reconnaissance politique. Celui qui n’y croit pas et qui ne comprend la culture basque que sous son acception folklorique, « statique » et « ethnique » rejette généralement l’idée de son entrée dans la sphère publique.
Vous déconstruisez particulièrement l’argument central de l’anti-départementalisme basque et de l’anti-militantisme basque en général, celui de l’accusation d’ethnicisme...
Les acteurs qui rejettent la reconnaissance politique de la langue basque s’appuie sur une lecture à sens unique de l’Histoire : celle selon laquelle le monde basque relève nécessairement —par sa supposée nature même— du « régional » et, par là-même, du secondaire, de l’accessoire, du résiduel, de l’essence ; le tout constituant et renvoyant à une idée majeure : le caractère « particulier » du monde basque. Mais, ce que je tente de montrer, c’est que lire le conflit basque sous le prisme exclusif du rapport entre universel et particulier relève de l’imposture dans la mesure où s’engager sur une telle voie nécessite d’adhérer à une idée reçue —parce que non discutée et dominante—, celle selon laquelle le monde basque relève nécessairement de l’« ethnique ». Or, le monde basque n’est « ethnique » que dans la mesure où il n’a pas accès à l’espace de la citoyenneté. Il n’est « ethnique » qu’« historiquement » et non pas « naturellement ». Lui adosser ce caractère « ethnique » revient à le considérer d’emblée comme « inapte à », en l’occurrence inapte à s’inscrire dans la sphère du politique, dans la sphère publique. C’est une manière de déshumaniser une collectivité humaine, celle qui se reconnaît dans le mot basque. Le déni d’histoire est un déni d’humanité. Il est à la source de la négation du droit à l’accès à la citoyenneté. A terme, l’entreprise de disqualification de la culture basque a pour finalité, voulue ou non, la disparition pure et simple de cette collectivité humaine. Et ce, du fait de la combinaison de deux idées : celle selon laquelle les revendications basquisantes sont nécessairement communautaristes (bien entendu, puisqu’elles sont basques !) ajoutée à celle d’après laquelle le traitement politique de l’avenir de la langue basque relève, lui-aussi, de perspectives ethnicistes.
Historiquement, d’où cet argument tire t-il sa justification ?
Plus loin dans l’ouvrage, je tente de montrer l’influence historique tant de l’Etat-nation en tant que structure que de l’ethnologie en tant que discipline scientifique. En effet, ces deux phénomènes conjoints ont historiquement offert les outils conceptuels permettant l’instrumentalisation de l’idée d’essence basque tout en contribuant à la construction idéologique de deux espaces antagoniques : la citoyenneté et l’ethnicité. Dans le cadre d’un long processus historique, particulièrement marqué par les idées nationalistes européennes du XIXe siècle, le monde basque a été l’objet d’un phénomène d’« ethnologisation » ou, autrement formulé, de disqualification. La culture basque a en effet subi la tendance de l’anthropologie à lire la réalité sociale sous l’angle de paradigmes idéologiquement très marqués, tels les oppositions binaires ethnos/polis, barbare (sauvage)/civilisé, société sans Etat/société à Etat. Aussi, la rhétorique des opposants à l’institutionnalisation du territoire et de la langue basque —qui s’appuie sur une représentation ethnologisée de la culture basque— s’inspire directement (qu’elle en ait conscience ou non) de la typologie scientifique, d’origine évolutionniste et fonctionnaliste, opposant sociétés sans Etat et sociétés étatiques : certaines cultures auraient par nature la propension à s’autogérer politiquement, d’autres non. Les premières seraient aptes à se constituer en communautés politiques quand les secondes auraient un besoin structurel : celui de vivre sous tutelle politique et, à terme, culturelle. C’est pourquoi, aujourd’hui encore, dans ce contexte idéologique sous-jacent, l’accusation d’« ethnicisme » est systématiquement avancée pour discréditer voire criminaliser les mouvements qui luttent pour la reconnaissance institutionnelle du territoire et de la langue basque. C’est donc en premier lieu la croyance en la nature strictement essentialiste du monde basque qui permet la construction du discours soutenant l’idée du caractère inopérationnel de la volonté d’institutionnalisation du Pays Basque nord.
Dans ce contexte quel est l’argument central des sphères basquisantes ?
En Iparralde, les revendications basques contemporaines ne suggèrent en rien une vision communautariste du fait culturalo-linguistique si ce n’est qu’elles défendent l’existence d’un espace symbolique et linguistique basque territorialisé. Les militants basques, quelles que soient leurs appartenances politiques et le degré de leurs aspirations à l’autonomie, ne souhaitent pas une société communautariste. Ils militent au contraire pour désenclaver la culture locale de l’imaginaire de l’étanchéité, de l’imperméabilité basque ; imaginaire lui-même largement issu du processus historique d’ethnologisation du monde basque. Ils défendent des droits civiques. Et, notamment, celui de vivre en langue basque. Le militantisme basque revendique des droits non pas communautaires mais citoyens. Les droits (et devoirs potentiels) des citoyens du territoire Pays Basque nord.
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