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L’identité basque selon les organisations politiques

Pascal PRAGNÈRE, University College Dublin et EHESS, Paris

Les nationalistes considèrent souvent que l’identité nationale pour laquelle ils sont mobilisés est un objet bien déterminé qui puise ses origines dans des époques anciennes et qui, par son caractère intemporel, est l’essence de l’être basque. Certains éléments ou critères sont fréquents dans les définitions de l’identité basque : l’ethnie ou la race, la lignée et les noms, la langue, la culture, la conscience historique, les institutions, le lieu de vie, les sports, le sens de la fête, et dans certains cas, l’engagement nationaliste ou la classe sociale. Des enquêtes récentes ont montré la vivacité de l’identité basque et les évolutions récentes des perceptions dans la population.1

Le travail de recherche dont les résultats sont présentés ici étudie les définitions de l’identité nationale produites par les organisations politiques.2 Il repère leurs transformations, puis explique leurs causes et fonctions dans une perspective historique et politique depuis les années 1950. Ceci est réalisé grâce à une analyse de tous les manifestes électoraux, politiques, ou publications des principales organisations nationalistes du Pays Basque.

Ces organisations intègrent les définitions de l’identité nationale à leurs objectifs et positionnements politiques. Elles ne formalisent jamais les changements de définitions qu’elles adoptent ou effectuent dans divers contextes. Pour les acteurs nationalistes, l’identité basque existe et ne saurait être contestée. Pourtant des variations dans les priorités accordées à certains critères et des transformations substantielles des définitions apparaissent fréquemment.

Les transformations principales sont les suivantes:

Partido Nacionalista Vasco (PNV)

Aberri eguna

En 1968, dans le contexte de l’Aberri Eguna, une définition différente fut énoncée, basée sur la naissance ou l’adoption, puis sur le lieu de vie et l’amour du Pays Basque.

Pour le PNV, dans les années 50 et 60, la conception de l’identité nationale basque puisait dans les ressources du nationalisme traditionnaliste développé par Sabino Arana. Le PNV en hérita une conception d’abord basée sur la race, la lignée ou les liens du sang, puis sur la langue, la religion et les références aux anciens droits et traditions. Dans cette période, la langue devint progressivement un critère plus saillant sans toutefois surpasser les références raciales et ethniques.

En 1968, dans le contexte de l’Aberri Eguna, une définition différente fut énoncée, basée sur la naissance ou l’adoption, puis sur le lieu de vie et l’amour du Pays Basque. Cette conception ne s’ancra pas dans le discours du PNV, et la définition traditionnelle fut conservée quelque temps. Puis dans le contexte du procès de Burgos, la notion de race fut remplacée par celle d’ethnie, et la définition évolua à nouveau pour être constituée des critères du lieu de naissance, de l’engagement nationaliste, de la culture et de la langue.

Entre 1971 et 1975, la définition traditionnelle domina à nouveau avec des variantes mineures et une attention sémantique portée au remplacement de la notion de race par celle d’ethnie.

C’est en 1977, après la mort de Franco et au début de la transition qu’une évolution importante fut adoptée. Une nouvelle définition volontariste de l’identité nationale basque fut basée sur la volonté de s’intégrer, la culture et l’engagement nationaliste. Cette définition fut adoptée et son ouverture renforcée dans la fin de la transition démocratique et le début des années 80 : elle fut dès lors fondée sur le choix du lieu de vie, le choix de la nation et de l’identité nationale, l’amour du Pays Basque, puis la langue, la culture. La naissance, le sang ou les noms furent déclassés en dernière place.

Puis à partir de 1986, les critères de définition adoptés furent la langue, la culture et l’histoire. Cet ordre ne changea plus jusqu’en 2010, bien que les définitions devinssent de plus en plus ouvertes, considérant que l’identité basque était plurilingue et pluriculturelle. Les critères de langue, culture et histoire furent considérés comme des éléments d’un patrimoine, de moins en moins exclusifs : ainsi en 2009, il était concevable pour le PNV d’être basque avec une identité plurielle.

Euskadi Ta Askatasuna (ETA)

Le critère principal dans les premières définitions de l’identité nationale par ETA fut la langue et cela resta une constante. À sa création, ETA utilisa comme critères de définition la langue, les valeurs de démocratie, la conscience historique et la race, puis l’engagement nationaliste. La notion de race fut abandonnée en 1964 et remplacée par celle d’ethnie.

Lors de la scission de 1970 entre ETA V et ETA VI, ETA V continua à définir l’identité nationale par la langue, alors que ETA VI la définit par la condition ouvrière.3 En 1975-76, au début de la transition, très peu de documents furent produits mais l’identité nationale fut définie par la notion de « Peuple Travailleur Basque ». Puis la langue fut à nouveau l’élément fondamental. Quelques variations mineures apparurent dans les critères des rangs suivants. Les valeurs de démocratie, la conscience historique, l’engagement nationaliste secondaient la langue pendant le début des années 60.

En 1967, les critères de classe sociale (être un travailleur basque), d’intégration et d’engagement nationaliste devinrent plus importants, mais la langue resta au premier rang. Les variations notables furent rares : en 1982, après la VIIIème Assemblée, l’ETA définit l’identité nationale basque uniquement par la référence de classe, c’est à dire l’appartenance au « peuple travailleur basque », comme en 1975-76. Ensuite les critères de langue et de classe ouvrière furent repris continuellement.

En 1998, l’intensité avec laquelle la langue fut définie comme critère fondamental de l’identité basque et la violence qui y fut associée sont notables. En 2009-2010, les critères de définition étaient toujours la langue, la classe ouvrière, l’engagement nationaliste et la volonté de vivre et de travailler au Pays Basque. A cette période, les définitions furent plus ouvertes.

À sa création en 1978, HB définit l’identité nationale basque par l’appartenance au « peuple travailleur basque », qui incluait les basques et immigrés de la classe ouvrière. .

(Herri) Batasuna (HB)

À sa création en 1978, HB définit l’identité nationale basque par l’appartenance au « peuple travailleur basque », qui incluait les basques et immigrés de la classe ouvrière. Les autres critères utilisés furent ceux du sol et du sang, la langue et l’engagement nationaliste. Cette définition évolua, et en 1986 la langue et la culture étaient devenus les critères du premier rang, suivis par les valeurs de solidarité, la classe sociale, ainsi que l’esprit joyeux et le sens de la fête. En 1998, la langue resta le premier critère, suivi de la culture, des sports et du sens de la fête. Finalement, en 2009-10, le lieu de vie devint prépondérant, sur le même plan que la langue. Mais la langue fut assortie d’une notion de plurilinguisme qui donnait une ouverture nouvelle à cette définition. Les critères suivants furent la culture (également assortie de la notion de pluriculturalisme) et l’engagement nationaliste.

Eusko Alkartasuna (EA)

Les définitions de l’identité nationale basque produites par EA se différencient par leur caractère souvent pluriel. En 1986, à la création du parti, la langue fut le premier critère de définition, assorti d’une notion d’ouverture et de pluralité. La conscience historique puis la volonté de participation complétaient cette définition non exclusive. En 1989-90, à l’époque des conversations d’Alger, cette approche fut conservée mais la langue ne fut pas le premier critère utilisé : la conscience historique (plurielle et européenne), puis la culture (plurielle et européenne) précédaient la langue et l’engagement nationaliste. La langue fut donc rétrogradée dans l’ordre des critères, dans une logique d’ouverture et d’inclusion.

Dans la période qui suivit, la langue retrouva un statut de premier plan, avec la conscience collective nationale et la culture, ce qui constituait une rétractation par rapport à l’ouverture précédente. En 1998, aucune définition ne fut formulée intentionnellement, EA choisissant explicitement de laisser le choix de critères d’identification libre et ouvert. Ceci fut prolongé jusqu’en 2009 où la langue réapparut comme premier critère (toujours assortie de la notion de pluralisme), suivie de la conscience historique et de la culture. Ces dernières évolutions se produisirent dans le contexte du changement de majorité au parlement basque en 2009.

Typologie des transformations

Les transformations des définitions politiques de l’identité nationale basque s’opèrent sur deux niveaux : le contenu et la catégorie. Les transformations dans le contenu sont les plus fréquentes : ce sont celles qui se produisent parmi les critères de définition, qui altèrent l’ordre des critères, en ajoutent de nouveaux et en font disparaître. Des critères peuvent aussi être affectés par l’intensité avec laquelle ils sont portés sur le devant de la scène, ou par la violence qui les défend (par exemple ETA et la langue en 1998). Certaines organisations utilisent aussi des critères que d’autres n’utilisent pas ; par exemple ETA emploie le critère de classe sociale alors que le PNV ou EA ne l’utilisent pas. Cependant ces transformations dans le contenu n’altèrent pas la catégorie, c’est à dire l’étiquette de l’identité nationale. Ainsi, malgré ces changements, l’identité nationale reste basque.

Aberri Eguna, 1978. Donostia-San Sebastián

Aberri Eguna, 1978. Donostia-San Sebastián.

Les changements de catégorie se produisent lorsque l’étiquette de l’identité est affectée. Parfois, lorsque les notions d’ouverture et de pluralité sont intégrées aux définitions, la catégorie évolue : la catégorie identitaire devient alors plurielle. Ainsi pour le PNV ou EA l’identité basque devint-elle basque et européenne, plurielle et pluriculturelle. De façon générale, les évolutions de catégorie furent plus rares. Il peut aussi arriver que la question de l’identité nationale ne soit pas considérée comme un enjeu majeur et qu’elle soit écartée du discours ou du débat politique.

Séquences des transformations

Les organisations politiques du Pays Basque produisent des définitions souvent différentes les unes des autres. Cela est observable dès l’apparition de l’ETA et de sa distanciation du PNV. Des transformations se produisirent ensuite dans toutes les organisations mais pas forcément en même temps, ni au même rythme, ni dans les mêmes conditions.

Les transformations coïncident généralement avec des changements politiques majeurs ou des changements dans le conflit basque (mort de Franco et transition démocratique, processus de paix, violence). Ces transformations peuvent également coïncider avec des évolutions sociales supranationales (processus d’intégration européenne, globalisation).

Dans certains cas, les transformations de définitions semblent correspondre à des évolutions idéologiques, notamment en conséquence de la chute du mur de Berlin. Elles semblent aussi être récurrentes dans le cadre de conflits entre les organisations.

Raisons et fonctions des transformations

L’examen d’une série d’hypothèses fournit des éléments d’explication aux causes de transformations des définitions. Certaines sont soutenues par de nombreux faits, et diverses explications convergent.

Les transformations de l’identité nationale par les organisations politiques semblent dues aux effets combinés de l’évolution des mentalités et du cadre supra national, qui peuvent faire produire des définitions plus ouvertes ou plus fermées. Dans ce cadre, les organisations transforment leurs définitions pour améliorer leur image et suivre les évolutions de la population afin de ne pas se retrouver en décalage avec les conceptions populaires. Elles peuvent également procéder à des transformations et ajustements en réaction à des critiques intérieures et extérieures.

Aberri Eguna, 1979. Donostia-San Sebastián

Aberri Eguna, 1979. Donostia-San Sebastián.

Ensuite, les transformations sont effectuées pour générer de la conscience nationale et de la mobilisation, et pour susciter le vote. Ces raisons sont celles qui bénéficient des arguments et des faits les plus convaincants. Ces raisons furent formulées explicitement par le PNV et ETA, et implicitement par les autres organisations. Ce mécanisme semble être une constante dans l’élaboration de définitions de l’identité nationale.

Il apparait ensuite qu’un conflit de classes se situe à l’intérieur du bloc nationaliste, et que les définitions de l’identité nationale sont un enjeu de la compétition entre les organisations politiques du Pays Basque.

Cette explication qui converge avec l’hypothèse d’un lien entre les changements de définitions et une évolution du niveau de violence permet de synthétiser l’ensemble des résultats. En effet, il apparait que l’ETA intensifie le niveau de violence lorsque elle est directement concurrencée sur le terrain de la définition de l’identité nationale. Cette intensification de la violence suggère que lorsque les différences en termes de définition de l’identité nationale sont neutralisées, c’est par la violence que l’ETA tente de rester l’organisation la plus légitime pour la représentation du nationalisme basque. Bien sûr, la violence a aussi d’autres motivations et objectifs, mais son intensification provient parfois de la compétition pour la légitimité de la représentation du nationalisme basque.

Conclusion

Les organisations nationalistes considèrent la définition de l’identité nationale comme un enjeu vital pour la défense duquel la mobilisation la plus importante est recherchée, et pour lequel des institutions particulières furent créées. Elles en ont cependant élaboré des définitions différentes depuis les années 1950.

La définition des identités nationales fut donc utilisée dans les mécanismes de mobilisation, les échéances électorales, la compétition entre les organisations politiques, et l’escalade de la violence. Les définitions furent transformées par les organisations politiques pour tenter d’obtenir et contrôler la légitimité de la représentation du nationalisme.

La convergence des définitions observée dans la période d’arrêt de la violence de l’ETA depuis 2009 confirmée par le cessez-le-feu de septembre 2010 est le signe que les organisations politiques de la gauche nationalistes ont trouvé un terrain d’entente sur cette question. L’ouverture actuelle vers des définitions plurielles dans toutes les organisations laisse penser que le choix d’acquérir une légitimité politique par la gestion des affaires publiques uniquement est solidement enraciné parce que le conflit sur les conceptions de l’identité nationale est actuellement neutralisé.

Ces nouvelles définitions plurielles de l’ « être basque » satisfont l’ensemble des organisations politiques et entrent en résonnance avec les conceptions populaires de l’identité basque. Ce contexte apaisé est extrêmement favorable à la résolution du conflit au Pays Basque.

1 Par exemple: Baxok, Erramun, Pantxoa Etchegoin, Terexa Lekunberri, Iñaki Martinez de Luna, Larraitz Mendizabal, Igor Ahedo, Xabier Itzaina, and Jimeno Roldan. 2006. Identité et Culture Basque au Début du XXIème siècle. Donostia: Eusko Ikaskuntza.

2 Ce travail a été financé par une bourse d’aide à la recherche de Eusko Ikaskuntza. Le document intégral est disponible dans le centre de documentation de Eusko Ikaskuntza à Bayonne: Pascal Pragnère. Définitions politiques de l’identité nationale au Pays Basque. Eusko Ikaskuntza. 2011.

3 ETA V resta la branche majoritaire de ETA, alors que ETA VI devint ensuite la LCR.

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