Anaïs DARGUY
” [Je les ai] baptisés avec le titre de Préludes Basques, en les appelant basques, pas seulement pour utiliser des chansons populaires basques, mais particulièrement parce que j’ai voulu peindre en eux l’âme basque de certains paysages, de certaines personnes et villages”1 (Donostia, 1958 : 62). Les termes “prélude” et “basque” associés évoquent à première vue la correspondance entre deux notions : celle de la musique savante —la forme du prélude étant issue de la tradition savante, urbaine, et celle de la musique populaire— la culture basque étant amalgamée à la représentation d’une culture orale, rurale.
Que représentent les Préludes basques pour piano du Père Donostia ? Ce sont des pièces courtes fondées à partir de thèmes populaires qu’il a harmonisés selon sa culture musicale. L’objet de cette étude est d’analyser, via le contexte dans lequel évoluait celui-ci allié à une analyse de ses pièces, son cheminement de composition, en essayant de percevoir ce qu’implique l’action de créer une ?uvre fondée sur des thèmes populaires au début du XXème siècle et la manière dont il a fixé musicalement ses idées porteuses d’un message national, associé à l’influence qu’ont exercé sur lui ses cours d’harmonie et de composition ainsi que ses contemporains français.
En Europe, au XIXème siècle, et un peu plus tard au Pays basque, un processus de formation identitaire s’érige : une conscience d’appartenance à une même structure identitaire apparaît, mise en exergue par l’étude et la valorisation d’éléments la particularisant tels que le chant, la danse, la langue, les coutumes. Comme on le pense alors au Pays basque, “Toute l’âme du pays basque [sic] est dans la chanson ; car le Basque chante encore, chante toujours...” (Choribit, 1913 : 3), déclare Choribit lors d’une conférence en 1913. On voit alors, dès la fin du XIXème siècle, se dresser une liste importante d’?uvres portant le qualificatif de “basque”, basées sur l’utilisation de thèmes populaires, que l’on estime porteur de l’identité basque, que le compositeur désire attribuer à son ?uvre. C’est dans cette mouvance que s’inscrivent les Préludes basques pour piano.
La quantité des études musicologiques sur le Père Donostia est mince : la thèse soutenue par l’universitaire et pianiste Josu Okiñena Unanue, La comunicación autopoiética fundamento para la interpretación musical : su estudio en la obra para voz y piano de José Antonio Donostia, ainsi que la biographie Aita Donostia de José Luis Ansorena Miranda, moine capucin, musicien, musicologue, conférencier, compositeur, qui a fondé les archives musicales basques d’Eresbil, sont les deux travaux que nous citerons ici. Ainsi, c’est pour proposer une première base de données que nous avons mené cette étude, qui, nous l’espérons, sera complétée par d’autres points de vue.
Père Donostia.
Photo: GureGipuzkoa.net / CC-BY-SA:Aranzadi
Certains ouvrages nous auront grandement éclairés dans la construction de ce mémoire, tels que l’admirable L’opéra basque (1884-1937) de Natalie Morel Borotra, musicologue et professeur agrégé au département de musique de l’Université Michel de Montaigne Bordeaux III, que nous citerons à plusieurs reprises au cours de notre travail, mais aussi La création des identités nationales - Europe XVIIIe-XIXe siècle d’Anne-Marie Thiesse, chercheuse au CNRS, dont les champs de recherche gravitent autour de la formation des identités nationales et régionales. La biographie suscitée du Père Donostia écrite par Luis Ansorena Miranda, a été capitale dans notre recherche. Elle nous a permis d’accéder à des paramètres intéressants : elle représente aujourd’hui l’ouvrage biographique le plus exhaustif sur le compositeur. Le travail conséquent d’édition des ?uvres complètes du Père Donostia par le Père Jorge de Riezu et par la Société d’Etudes Basques Eusko Ikaskuntza est à féliciter, tant il facilite l’accès aux articles que le compositeur a écrits, et les chants populaires qu’il a publiés tout au long de sa vie, notamment dans la revue Gure Herria et dans son chansonnier Euskel Erres Sorta.
Les limites géographiques de notre étude se sont imposées d’elles-mêmes : nous avons travaillé essentiellement sur le territoire du Pays basque, l’Espagne et la France.
L’étude qui suit est divisée en trois parties. Tout d’abord, nous nous sommes attachés à restituer le parcours de formation musicale du Père Donostia, ce qui nous a amené à saisir quels types de cours il a suivis et quels styles musicaux il a étudiés, puis nous avons fait une étude de sa bibliothèque personnelle, ce qui a relevé que les domaines rattachés à l’étude du Pays basque et de Debussy et Ravel étaient ceux qui lui tenaient particulièrement à c?ur. Ensuite, nous avons déterminé la place qu’occupait le compositeur dans la renaissance culturelle basque, et enfin, nous avons relaté les manifestations d’admiration qu’il portait à l’égard des deux compositeurs français suscités.
Dans une seconde partie, nous avons esquissé le contexte dans lequel sont apparus les Préludes basques pour piano, en nous concentrant sur l’image que renvoyait la notion de chant populaire. Puis nous avons déterminé, après voir attribué à la plupart des préludes le chant populaire duquel il semble être issu, de quelles manières le compositeur se les est réappropriés dans ses pièces savantes. Ensuite, nous avons examiné les dires du Père Donostia dans son article Notas sobre mis Preludios vascos (Notes sur mes Préludes basques) dans lequel il donne des précisions sur les sources inspiratrices de ses pièces basques, ce qui nous a permis de trouver un discours empreint de stéréotypes idylliques, lequel nous a mené à analyser le contenu des pièces pour comprendre comment il a matérialisé sa “pensée basque” musicalement.
Enfin, la troisième partie a tenté de cerner pourquoi le Père Donostia a choisi de composer des préludes pour piano, par l’examen de l’affection qu’il portait à l’instrument et par une étude sur la place que celui-ci occupait en France, en Espagne et au Pays basque à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle. Puis, nous avons étudié dans quel style sa plume de musicien s’inscrit en examinant selon quelle mesure les compositeurs l’entourant l’ont influencé à travers une analyse intertextuelle, et enfin, quelles questions ses choix musicaux, tournés vers un style moderne pour son dernier cahier, ont soulevés.
Notre étude tente de comprendre dans quel contexte historique, sociologique et musicologique ont été créés les Préludes basques pour piano du Père Donostia, en analysant les caractéristiques musicales des marqueurs identitaires basques propres à ces pièces et en examinant la manière dont il a puisé son inspiration créatrice chez les musiciens qu’il affectionnait particulièrement.
Le Père Donostia a manifesté très tôt un fervent désir de faire de la musique, c’est ainsi qu’à ses cinq ans, il se voit offrir son premier violon par ses parents, et commence alors à prendre des leçons de formation musicale et d’instrument. Rentré en 1896 au Collège Nuestra Señora del Buen Consejo, il participe activement aux animations et aux exercices musicaux. Il se fait alors remarquer par son supérieur hiérarchique qui lui fait prendre ses premiers cours d’harmonie et de composition avec Ismael Echazarra, qui cultivent chez lui ce désir inhérent d’apprendre et qui l’amèneront à s’instruire tout au long de sa vie : il suivra des leçons sur des courtes périodes avec Adrián Esquerrá et Bernardo de Gabiola en harmonie et en composition des siècles baroques, classiques et romantiques, avec Felipe Pedrell pour des cours de “musique patriotique” et avec Vincent d’Indy à la Schola Cantorum. Il manifeste rapidement une affection particulière à l’égard de ses compositeurs français contemporains, et contacte Ravel afin de prendre des leçons avec lui. Trop occupé pour se charger de cette tâche, celui-ci confiera le Père Donostia à Eugène Cools, disciple de Fauré, dont le style marquera la plume du compositeur basque.
Cet intense désir de se documenter et de s’informer sur la musique lui fait rassembler plus de 600 ouvrages, partitions et revues dont seule une infime part ne concerne pas la musique, qu’il conserve dans une pièce à Lecaroz qui lui est spécialement dédiée. Après un classement, certains thèmes s’avèrent largement plus représentés que d’autres : des ouvrages sur la théorie musicale, sur l’histoire, sur la pratique musicale et sur les dictionnaires / encyclopédies figurent en grand nombre, témoignant de sa soif d’apprendre, les partitions et les biographies révèlent un engouement du compositeur pour Ravel et pour Debussy, puis l’ethnologie et l’ethnomusicologie sont grandement représentées avec le territoire du Pays basque en première place.
Père Donostia, Lecaroz.
Le Pays basque tient une grande place dans son travail de musicien. Dévoué à la mise en valeur du patrimoine culturel de sa nation, le Père Donostia participe activement à la renaissance culturelle basque en s’inscrivant parmi les gagnants d’un concours organisé par les quatre députés espagnols et visant à récompenser le travail de collecte de chants populaires le plus convaincant. Il signe son intérêt pour le nationalisme musical dans des articles qu’il publie dans la revue Euzkadi, complimentant les actions musicales nationales de Charles Bordes, de Chopin, de Smetana, de Glinka et de Mozart. Soucieux de conserver les chants populaires du Pays basque, il recueillera durant toute sa vie des mélodies de la bouche des paysans basques.
En 1920, à Paris, le compositeur assiste à beaucoup de concerts, ce qui lui vaudra de devoir essuyer les plaintes de certains de ses camarades capucins. La passion qu’il voue à l’égard de Debussy et de Ravel transparaît nettement dans les critiques de ces concerts qu’il conserve dans son journal, il ne tarit pas d’éloges à leur sujet. Le projet des Préludes basques pour piano est né de cette passion conjuguée pour la nation basque et pour la musique savante, et plus particulièrement pour Debussy et pour Ravel.
Au XIXème siècle, un processus de formation identitaire s’érige dans toute l’Europe : on cherche à retrouver l’histoire du développement de sa nation. Une quête des éléments la particularisant est alors engagée au Pays basque, des ouvrages rassemblant des collectes de chants populaires voient le jour, et la notion de chant basque apparaît : un chant qui serait porteur du caractère national, défenseur de l’identité basque. Des discours voient alors le jour, taxant le chant populaire basque de refléter le caractère du peuple qui le chante. C’est alors que les compositeurs de musique savante vont puiser le matériau fondateur de leurs ?uvres dans les chansonniers, ainsi porteuses de l’identité nationale, comme on le pense alors. Les Préludes basques pour piano s’inscrivent dans cette mouvance, puisqu’ils sont construits à partir de thèmes populaires basques que le Père Donostia a ensuite harmonisés. Par le fait qu’il effectue des modifications sensibles sur les chants populaires relevés par les folkloristes dans ses pièces, nous pouvons dire qu’il se réapproprie les thèmes populaires, car les paramètres constitutifs du chant figurant dans le chansonnier ne sont pas retranscrits littéralement. Les changements apportés par le compositeur sont classables : la plupart du temps, il glisse de fines modifications rythmiques et mélodiques (mordants, grupettos, notes de passages, broderies, etc...), dans le but de ralonger la pièce, il effectue des reprises des phrases mélodiques, il crée des variations modulantes qui amèneront un développement plutôt important, toujours sur des fragments ou des motifs du thème premier, et il ajoute des introductions ou des passages de transition sans rapport avec la texture du motif caractéristique du thème populaire concerné. Les changements qu’il opère concernent aussi les tonalités choisies des préludes, qui diffèrent la plupart du temps de la tonalité dans laquelle le chant populaire fut noté dans le chansonnier. Toutes les sept pièces, nous nous trouvons en fa majeur. Aussi, cette mise en valeur du chiffre sept représente-t-elle peut-être un clin d’?il subtil à la relation qui s’établit selon lui entre le chant populaire, matériau liant, et les sept provinces du Pays basque, desquelles il disait qu’elles n’étaient qu’une musicalement.
Dans son article Notas sobre mis Preludios vascos (Notes sur mes Préludes basques), le Père Donostia nous donne des précisions et des explications sur les inspirations qui l’ont guidé lors de la composition de ses pièces courtes. Désireux de peindre en eux l’âme basque de certains paysages, du peuple et des villages basques, ses visions inspiratrices sont porteuses de paramètres censés caractériser l’idiosyncrasie basque : la danse, le chant, le hameau, la montagne et l’allégresse. Le compositeur des Préludes basques a choisi avec précision la topographie de son ?uvre : le Pays basque représenté est essentiellement celui où la nature communie avec l’Homme qui danse et chante, heureux, dans son petit village entouré de montagnes. Nous avons étudié les préludes nº 3 et 7 afin de comprendre comment le compositeur a donné un sens musical à ces stéréotypes idylliques, et il en ressort des liaisons figuralistes entre le texte qu’il a écrit à propos de ses pièces et les effets musicaux, en étroite communication : la répétition d’un motif à l’octave supérieure pour matérialiser un écho dans la montagne, une phrase rapide, instable rythmiquement et harmoniquement, sur une nuance forte qui appelle au silence, etc...
Par ses Préludes basques pour piano, le Père Donostia “transforme” le chant populaire, matériau fondateur de ses pièces, en les façonnant, si bien qu’il en créée des pièces savantes, porteuses à la fois de son style de musicien influencé par Debussy, par Ravel et par Fauré en grande partie dans son quatrième cahier, pour lequel il devra essuyer des critiques. En effet, en harmonisant ce cahier dans un style proche de ses contemporains français, il va à l’encontre des considérations de certains folkloristes, considérant la modernité française comme une “ode passagère”, et pour qui le chant populaire est un matériau ethnographique et non pas un thème musical à traiter, comme le pense le Père Donostia. Le choix du piano pour ses préludes n’est pas non plus anodin : il fait une adaptation de la musique populaire à un instrument étranger à la tradition populaire, puisque le piano représentait alors l’instrument de tradition savante du pays.
Cette étude n’a pas la prétention d’être exhaustive et de nombreuses investigations pourraient encore être menées car les études sur le Père Donostia et sur sa musique restent minces aujourd’hui. Il serait riche pour nous d’avoir accès au fonds du compositeur afin d’en effectuer un recensement exhaustif, de pouvoir étudier avec plus de précisions qu’aujourd’hui ses lectures, et d’avoir une analyse de ses partitions manuscrites de Préludes basques. Un dépouillement d’autres chansonniers, pas seulement basques, pourrait nous aider à trouver si les thèmes populaires des préludes nº 4, 17 et 18 sont issus de chansonniers. Une analyse de ses pièces Infantiles pour piano, éditées en 1946, ainsi que de la Prière plaintive à Notre Dame de Socorri pourraient s’avérer révélatrices de la forte influence que la musique de Ravel observait sur le compositeur : il serait ainsi possible de déterminer que le Père Donostia s’inscrit dans le style moderne qui s’esquisse déjà dans les dernières pièces des préludes. Enfin, il serait aussi intéressant d’approfondir notre travail sur les voyages du compositeur à Paris et à Madrid, de manière à cerner avec plus de précision quelles étaient ses fréquentations, et quelles influences elles ont pu avoir sur lui et sur ses créations.
1 « he bautizado con el título de Preludios Vascos, llamándoles vascos, no sólo por utilizar canciones populaires vascas, sino particularmente porque he querido pintar en ellos el alma vasca de aquellos paisajes, de aquellas personas y pueblos ».
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