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Je vais tenter de vous exposer le plus clairement possible une partie des questions et conclusions issues de mes travaux de thèse. Cette intervention est en effet issue de ma thèse soutenue, il y a un an, à l’EHESS de Paris. Cette thèse avait pour intitulé : Les revendications institutionnelles contemporaines en Pays basque de France. Représentations du monde basque et discours politiques. Dans mon exposé, j’utiliserai aujourd’hui indistinctement les expressions Pays basque nord, Pays basque de France ou français, sans distinction de sens.
La période étudiée court d’octobre 1999 à l’année 2005. Comment ai-je procédé du point de vue méthodologique ? J’ai essentiellement travaillé à partir d’entretiens réalisés avec des élus locaux, des personnalités du monde culturel basque, des membres d’associations partisanes de la création d’un Département Pays Basque (DPB) et des membres d’associations opposées à la reconnaissance politique du Pays basque nord. J’ai par ailleurs consulté et traité un large corpus d’articles de presse issus de parutions régionales, nationales et transfrontalières ainsi qu’un corpus de documentations internes aux formations politiques et associatives.
Ces dernières années, le Pays basque nord a connu quatre principales revendications : la création d’un Département, la co-officialisation de la langue basque, la création d’une Chambre d’agriculture et d’une Université autonome, de plein exercice.
Je traiterai aujourd’hui de deux de ces revendications : celle du DPB et celle de l’officialisation de la langue basque, à savoir son entrée dans la sphère publique. Et je tenterai de montrer en quoi le rapport à la culture basque induit, parmi d’autres considérations, l’adhésion ou non à l’idée de reconnaissance politique du fait basque en Pays basque nord.
Il y a une grande diversité des milieux basquisants militant pour la reconnaissance territoriale. J’entendrai le terme basquisants dans le sens général d’euskalzale, de bascophile. Schématiquement, cette diversité peut être présentée à partir de trois grands groupes :
- le premier, le milieu associatif et politique abertzale (nationaliste basque),
- le second, qui est constitué des élus locaux de toutes appartenances politiques (excepté du Parti Communiste et du Front National) s’étant déclaré favorables à la création d’un DPB.
- et, le troisième qui regroupe les syndicats et les associations culturelles, sportives, économiques, autrement dit, pour faire simple, ce qu’on appelle la société civile. Alors, évidemment, ces groupes ne sont pas des entités fermées. On trouve des acteurs qui militent dans plusieurs de ces trois groupes.
Foto: Alex Barth.
Parmi tous ces acteurs favorables à l’institution, la structure DPB n’est pas nécessairement perçue de la même manière. Pour les élus basquisant non-abertzale, le DPB est une structure considérée comme suffisante pour favoriser le développement économique et assurer la cohérence socioculturelle du territoire Pays basque nord.
Pour les abertzale, le DPB est vécu comme un minima, comme une première structure reconnaissant le côté nord du Pays basque. Et, comme une structure, permettant, à terme, l’officialisation de la langue basque. A priori, l’idée de co-officialisation signifie d’avoir pour modèle culturel le bilinguisme systématisé donc institutionnalisé dans l’offre d’enseignement public et l’accès, systématisé lui aussi, à des services bascophones dans les services publics.
Durant la période étudiée ont eu lieu deux grandes manifestations départementalistes. En octobre 1999, au nom de l’Appel des Cent et, en février 2003, à l’appel de la plate-forme Batera.
Entre ces deux dates, on retient une évolution importante des discours. Le discours départementaliste passe d’un argumentaire strictement territorial et économique à un argumentaire de type territorial et linguistique. Ceci est imputable aux caractéristiques des leaders du mouvement qui sont en 1999 issus du départementalisme associatif de l’Association pour un Nouveau Département et de l’Association des Elus pour un Département Pays Basque ; et qui, en 2003, sont davantage issus de milieu abertzale classique, et particulièrement d’Abertzaleen Batasuna.
Pour ce qui est des opposants, il y a, là encore, une pluralité des acteurs. A partir de 2002, naissent deux associations opposées au mouvement de reconnaissance territoriale du Pays basque nord. Le nombre de militants opposés est très réduit mais il traduit une position relativement répandue quoique difficilement mesurable au sein de la population. Il traduit en tout cas un rapport à la culture basque existant au sein de la population.
La première de ces associations, l’Association Citoyens en Adour-Pyrénées Vivre-Ensemble se réclame de la « défense de la République » ; et la seconde, le Cercle Lissagaray, se réclame de la « gauche républicaine ». Ce groupe dit vouloir défendre les valeurs républicaines. Il considère en effet que le départementalisme, ou le militantisme institutionnel basque en général, quelles que soient ses formes, relève du communautarisme et de l’ethnicisme.
Parmi les opposants, s’opposent également mais dans un registre moins idéologique, les « grands élus », ayant des mandats politiques à l’échelle nationale. Les « grands élus » considèrent quand à eux que cette réforme territoriale est inutile. Ils insistent à l’occasion sur son caractère dangereux en rappelant leur fonction de garants de la paix sociale et de garants du bon fonctionnement des institutions. Voilà pour ce qui est de la présentation des acteurs du débat.
Mais au-delà de toutes ces positions, en partie politicienne, qu’y a t-il vraiment derrière ces divergences de point de vue entre partisans et opposants ? Selon mes conclusions, il y a un conflit central autour de la question de l’identité basque. L’adhésion ou l’opposition à la reconnaissance territoriale dépend en effet à bien des égards du rapport que l’individu entretient à ce qu’il perçoit comme relevant de l’identité basque. Les uns considèrent comme légitime l’entrée de la culture basque dans la sphère publique et les autres la considèrent illégitime en fonction de ce qu’ils comprennent par l’idée même de culture basque. En fonction du type d’imaginaire individuel auquel renvoie l’expression.
Alors je ne vais pas questionner ici les caractéristiques de la culture basque et encore moins la définir. Mais, tout de même, qu’entend-on par culture basque ? Qu’est-ce que la culture basque ? Pour faire vite, comme toute culture, toute société humaine, il est difficile de répondre à cette question puisque celle-ci doit être contextualisée, historicisée, pluralisée.
Mais il reste un élément indiscutable, une permanence dans cette idée de culture basque : celle de la langue basque. En effet, initialement, il y a conscience de culture basque, il y a idée de culture basque et possibilité de son développement parce qu’il y a langue basque. Toutefois ceci est une donnée que l’on peut qualifier de théorique dans la mesure où la notion de culture basque est perçue en référence à différents types de représentations nées de l’Histoire, nées d’un parcours historique, d’un itinéraire symbolique. Plusieurs récits de ce à quoi correspond la culture basque existent. Aussi, la culture basque est considérée à la fois comme « régionale », transfrontalière, et/ou potentiellement « nationale », et ce, en référence à des critères identitaires hérités comme l’origine, la langue, le lieu de naissance ; et/ou à des critères identitaires construits comme la langue, les pratiques culturelles et sportives, anciennes ou récentes, la territorialité ou la citoyenneté.
Mais, ce parcours historique, dont sont issus les différents rapports contemporains à la culture locale et transfrontalière, est marqué en Pays basque par une thématique centrale. Quelles que soient leurs natures, l’ensemble de ces compréhensions de la culture s’inscrivent dans un cadre référentiel commun : l’idée de singularité basque.
Cette idée de singularité basque constitue le socle idéologique fondamental, central, souvent sous-jacent d’ailleurs, non nécessairement explicite dans le discours des acteurs. Mais il constitue le socle idéologique central à partir duquel se sont historiquement constitués les référents identitaires locaux, les différentes manières de percevoir et de vivre la culture basque, les différentes manières de s’y inscrire ou de s’en désinscrire.
Ainsi, cette idée de singularité basque induit des représentations contradictoires de la culture et de l’identité basque et, bien souvent, en conséquence, des rapports divergents à l’idée de reconnaissance politique du Pays basque nord. Alors, ceci est un constat ethnographique. Mais il nous faut resituer historiquement les mécanismes qui ont permis d’y aboutir. Il faut resituer historiquement les mécanismes de construction de cette idée de singularité basque.
Cette idée, ce socle symbolique central, est issu d’un processus d’ethnologisation. Que faut-il entendre par ethnologisation ? Il s’agit d’un processus de singularisation, de différenciation comme toute culture vivante ou morte en connaît ou en a connu. Dans le cas basque, il s’agit d’un processus en quelque sorte et, pour partie, subi car né de l’opposition historique entre deux pôles, celui de la nation et celui de la région ; le pôle de la nation ayant bien souvent le monopole dans la définition de ce à quoi doit correspondre la région. Ainsi, le phénomène d’ethnologisation a notamment servit à la construction de la version « régionale », folklorique, accessoire, de l’identité basque. C’est à partir de cette opposition entre nation et région que naît une certaine lecture de l’identité basque.
Mais d’où vient cette idée de singularité basque ? Par quoi est-elle suscitée au départ ? Au départ, il semble qu’elle ait été suscitée par le traitement scientifique de la thématique de l’énigme culturelle et linguistique basque. En effet, cette idée de singularité est issue de deux grands thèmes, de deux grandes questions, de deux grandes questions sans réponse, à savoir d’une part :
- l’histoire méconnue car très ancienne du processus de peuplement des zones bascophones et anciennement bascophones,
- et, d’autre part, le caractère non-indo-européen de la langue basque c’est-à-dire de la non-familiarité de la langue basque avec les langues latines voisines.
Les descriptions du monde basque à partir de ces deux thèmes ont suscité le processus historique de construction d’une forme de perception du fait basque : celui-ci est alors lu sous l’angle exclusif de l’a-temporalité, de l’a-historicité, dans le sens de l’absence d’histoire, dans le sens de l’absence d’évolution, de mobilité.
C’est cette lecture qui provoque le sentiment d’immuabilité auquel renvoie bien souvent le monde basque dans les consciences tant nationales que locales. Considérer que le monde basque est a-temporel, c’est considérer que le fait basque n’a pas d’histoire, qu’il est immanent, tombé du ciel tel quel, fini et défini pour toujours.
Par ailleurs, dans le cadre de la construction de cette idée, il faut signaler l’implication historique des disciplines scientifiques. La biologie, l’histoire, l’étude des m¦urs et coutumes, l’ethnologie ont apporté les outils conceptuels qui permettent la construction de cette idée de singularité. Par outils conceptuels, j’entends un certain nombre de termes, scientifiques au départ, mais qui ont envahi ici comme ailleurs le champ du vocabulaire quotidien, et particulièrement médiatique, des mots tels que la culture ou l’ethnie par exemple, qui sont aujourd’hui politiquement instrumentalisés.
Les disciplines scientifiques ont ainsi participé et contribué à justifier cette idée d’a-historicité et, au final, d’étanchéité du monde basque, l’idée d’un monde clos. Ainsi, les référents scientifiques participent de l’académisation d’une représentation et de sa permanence. J’entends ici par le terme académisation le fait que cette représentation officielle fasse consensus, qu’elle soit perçue comme le vrai, comme la vérité, comme le juste, qu’elle ne pose plus ou peu question dans la mesure où elle correspond à l’état institutionnel de la culture basque.
Mais il faut bien voir que la nature de ces démarches scientifiques, leur fonction institutionnelle, est indissociable du contexte historique et du cadre politique au sein duquel elles se développent. Or, ce regard scientifique est essentiellement de nature nationale. La science s’inscrit alors dans un rapport de force politique, elle a en partie pour fonction sous-jacente et indirecte de définir pour administrer. La représentation dominante du monde basque est alors mythifiée dans le sens d’académiser comme « régional ». La culture basque est estampillée officiellement comme strictement et exclusivement « régionale ». Ce phénomène provoque l’établissement d’un certain regard, tant hors du Pays basque qu’en Pays basque même. Le monde basque est alors perçu comme, par nature, particulier donc particulariste ; minoritaire et « régional » donc étanche ; a-temporel donc nécessairement « ethnique ». L’« ethnique » renvoyant ici au tribal, à la figure de l’indien, à l’image de l’autochtonie sublimée et intemporelle.
Aussi, il faut bien percevoir que le paradigme identitaire, la ou plutôt les consciences identitaires basques contemporaines sont issues de cette histoire. Elles se manifestent aujourd’hui tous les jours en Pays basque dans les représentations. Et elles se manifestent aussi en quelque sorte dans le rapport à l’idée de reconnaissance politique du fait basque. Et, cette histoire de la singularité basque est aujourd’hui embarrassante pour les mouvements basques dans la mesure où elle a bien souvent pour effet d’assimiler identité basque et représentations essentialistes de la culture. Par essentialisme, il faut entendre une manière de lire les choses. Une manière de lire la réalité sociale, une manière de lire et de comprendre la société. La lecture essentialiste des choses et des êtres, c’est en fait considérer que ce qui fait qu’un être est ce qu’il est, relève de l’ordre strict du naturel, de l’ordre strict de l’inné. Dans ce cas là, aucune importance n’est accordée à l’accidentel, au contingent, c’est-à-dire au vécu, à l’action, à l’éducation ou à l’expérience. L’essentialisme croit à un monde par nature hiérarchisé. En cela, l’essentialisme sert de base idéologique aux différents types de processus ségrégationnistes. L’essentialisme considère que les différences culturelles sont en fait des différences naturelles. L’essentialisme attribue des caractéristiques, des aptitudes, un rôle social ou un statut spécifique aux différentes cultures. Dans le cas basque, l’essentialisme attribue au fait culturel un statut « régional » dans le sens de passéiste et figé.Dans ce contexte idéologique, une des formes prises du discours de l’opposition à la reconnaissance politique du fait basque consiste à instrumentaliser et vulgariser cette histoire des représentations pour dénoncer le caractère supposé ethniciste des revendications basques. Et ce à partir de l’instrumentalisation de l’amalgame entre culture basque et isolat culturel.Au final, et contrairement à un présupposé courant, le mythe de la singularité profite davantage aux partisans du statu quo institutionnel qu’aux militants de l’entrée de la langue basque dans la sphère publique.Il y a dans l’argumentaire anti-départementaliste, instrumentalisation d’une idée sous-jacente ; le supposé essentialisme du fait basque, la supposé a-historicité, étanchéité du fait basque. C’est l’idée, au final, du monde basque comme ethnie. L’anti-départementalisme construit son discours à partir de cette idée. Cette idée d’ethnie renvoie pour le sens commun, à percevoir la culture basque comme finie et définie à tout jamais. Dans ce cadre idéologique, les opposants utilisent l’argument du brassage des populations. Selon eux, le brassage des populations justifierait le caractère illégitime de l’entrée en politique de la culture basque. Cette posture, cet argument sont pour le moins paradoxaux dans la mesure où ils combinent d’une part, la défense des valeurs dites « républicaines », c’est-à-dire la valorisation d’un système politique démocratique qui valorise la chose publique, la chose « pour tous », la laïcité, la citoyenneté par droit et devoir ; et, parallèlement, ils valorisent une lecture ethniciste de la culture basque en excluant l’idée que la culture basque soit potentiellement apte à s’inscrire dans ce cadre républicain, dans cette sphère publique. En cela, l’anti-départementalisme adhère à la représentation a-temporelle donc ethniciste de l’identité culturelle locale. C’est un point de vue qui s’appuie sur une lecture exclusivement « régionaliste » de la culture. C’est une manière de stigmatiser le mouvement culturel basque et la culture basque elle-même. Au fond, dans le discours des opposants, le terme basque en lui-même, renvoie systématiquement à l’« ethnique ». Cet argumentaire est un argumentaire paternaliste classique dans la mesure où il s’appuie nécessairement sur la supposée hiérarchie « naturelle » des cultures. Pour résumé, selon les associations opposées à la reconnaissance du fait basque, la culture basque est de nature nécessairement « régionale ». Le « régional » renvoyant au folklorique, à l’idée de culture figée, statique, sans évolution, totemisée, muséïfiée. En cela, dans ce discours, la culture basque est « ethnique » donc incompatible avec la sphère du politique, inappropriée à entrer dans la sphère publique, inapte à se reformuler dans le métissage culturel, inapte à l’Histoire ; elle ne relève que de l’ethnicité et est, en cela, incompatible avec le principe de citoyenneté.. Dans le discours de l’opposition associative, cette vision de la culture basque est présentée en opposition avec un autre pôle, celui de la culture française, considérée, elle, comme une culture nationale, citoyenne et en mouvement, compatible avec la sphère du politique, avec la sphère publique, avec la citoyenneté, avec le brassage culturel.
A ce stade, on voit bien que l’argumentaire anti-départementaliste trouve sa source, son influence, sa rhétorique dans l’histoire de la fabrication de l’idée de singularité ou, autrement dit, trouve sa source dans l’histoire du phénomène d’ethnologisation. En effet, ce discours opère plusieurs distinctions hiérarchisantes dont une distinction centrale qui consiste à croire que la société basque est une « société stagnante » donc une société nécessairement étrangère à l’idée de progrès et, qu’en cela, elle n’a pas besoin de structure politique autonome du fait de sa supposée nature statique, a-historique ; et qu’à l’inverse, la société française qui est une « société à Etat », une société politique, est donc une société « à progrès ». Alors, évidemment, dans ce contexte idéologique, les mouvements basques se trouvent devant une difficulté majeure : celle de construire un argumentaire basquisant sans être systématiquement accusé d’ethnicisme. En effet, comment parvenir à démocratiser l’accès à la culture basque ? Comment assurer la pérennité de la culture locale, sa reformulation, son présent et son futur ? Comment gérer ce contexte idéologique défavorable ?Comme tout mouvement culturel, le discours basquisant se réclame historiquement des référents classiques, aujourd’hui universels de l’identité, à savoir l’histoire, l’origine, la culture, la langue et le territoire. En cela, il s’inscrit lui aussi nécessairement dans le contexte de l’histoire de la constitution de l’identité basque. Mais, contrairement à une idée courante, à une idée reçue, il ne revendique pas la vision figée de l’identité issue de l’ethnologisation du monde basque. Il tente en effet une réappropriation et une reformulation de sens du mythe fondateur, du mythe de la singularité. Le discours basquisant contemporain est opposé aux visions exclusivement conservatrices et patrimoniales du fait culturel ; il rejette par ailleurs les représentations strictement régionalistes et folklorisantes de la culture locale ; et il est en rupture avec l’idée d’a-historicité, d’a-temporalité, d’étanchéité du monde basque. Pour ce faire, les mouvements basques en Iparralde valorisent une conception dynamique et mouvante de l’identité basque. Et ce, notamment, par la valorisation de la relation entre d’une part, basquité, et d’autre part, militantisme, usage ou apprentissage de la langue basque. Par la valorisation également du lien entre culture et territorialité. Dans ce cadre, la langue basque joue un rôle central dans cette tentative de démystification de l’idée d’immuabilité et d’étanchéité du fait culturel basque. Le monde basquisant valorise l’idée selon laquelle seule la survie et le développement de la langue basque permettent et permettront l’existence de la culture basque, l’existence de la création et de la reformulation culturelle, l’existence d’un espace symbolique basque. Il y a donc une tentative de valorisation du lien entre citoyenneté et droit à la culture basque. L’accès à la culture et principalement à la langue est vécu comme un droit public à conquérir. Il est à noter dans l’évolution du discours abertzale depuis les années 60, une tendance à une évolution idéologique centrale : le passage de la revendication du droit à la différence à celui du droit à l’égalité. En effet, le droit à la différence ne remet pas en cause la version statique, la version figée, du fait basque puisqu’il ne remet pas en cause la version « régionaliste », la version ethnicisée. Au contraire, le droit à l’égalité valorise la dimension dynamique et, en cela, historique, vivante et évolutive du fait culturel. Ce passage de la revendication du droit à la différence vers celui du droit à l’égalité est d’une importance majeure. In fine, elle signifie la volonté de confondre la citoyenneté locale au droit pour tous à l’accès à la culture basque.
Enfin, conclusion très importante de mes recherches, les entretiens auprès de la population permettent de démentir un présupposé courant, également relevé dans les travaux de Zoe Bray sur les rapports à la culture dans la baie de Txingudi : il n’y a aucun lien de corrélation systématique entre la nature de l’adhésion politique et les caractéristiques socioculturelles des acteurs. Il y a une très grande diversité des rapports à la reconnaissance institutionnelle. En effet, les prises de positions individuelles dépendent principalement de la nature des représentations individuelles du fait culturel basque. Elles dépendent donc de la nature du rapport au mythe de la singularité. Finalement, pour comprendre le lien entre représentations du monde basque et convictions politiques, il faut s’en remettre à l’analyse de l’angle sous lequel le mythe est perçu. L’étude des revendications institutionnelles basques en Iparralde illustre de manière exemplaire la difficulté de raisonner au-delà d’une vision essentialiste du fait culturel en général. A terme, cette difficulté sera partie prenante des phénomènes allant à l’encontre de la survie de la culture basque dans le contexte de sa non-reconnaissance. En effet, il est apparu qu’associé à sa non-existence politique et à la perte constante de l’usage social de la langue basque, le traitement littéraire et scientifique du monde basque avait abouti à une tendance à lire ce monde social sous le spectre de l’essentialisme. Ainsi, aujourd’hui, la survie de la culture basque est en partie prisonnière de l’opposition national/régional et dépendante de la pérennité de celle-ci.
Dans ce contexte, les mouvements basques ne participent pas du phénomène d’ethnicisation de la société. Une part importante de la classe politique et de la société civile participe au contraire à une tentative interne de contestation des effets néfastes du statut « régional » du monde basque et milite pour le désenclavement de la culture basque de son statut secondaire et accessoire.Les mouvements pour la reconnaissance du Pays basque nord, dans leur tentative de relecture du monde basque et dans leur démarche de construction cohérente du territoire Pays basque, ont l’avantage de ne pas avoir à rompre avec la cosmogonie basque traditionnelle : ils revendiquent essentiellement, du point de vue culturel comme symbolique, la légitimité politique non-exclusive de l’autonyme euskalduna, référent à la fois historique et privé, institué et public ».