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Natalie MOREL BOTRORA
« Frente á las ruinas de una de esas innumerables ferrerías del país vasco, que ha matado la industria moderna, se alza un molino, dejando ver á medias su rueda ventruda. Junto á él las paredes de una huerta perteneciente á una casa que se divisa más lejos entre higueras. El cauce cruza por el fondo soportando los toscos maderos de un puente rústico, y en medio de la plazoleta el nogal patriarcal de nuestras barriadas, que forma como un techo sobre los techos y cobija las viviendas con un gesto de protección. En este marco apacible y típico vamos á presenciar tristes escenas : el sueño de amor de la dulce Mirenchu, que brilla un instante y se apaga á la par que su vida. »1
I. de Zubialde, Juan Carlos de Gortazar.
Ces quelques lignes introduisent un article signé I. de Zubialde (un pseudonyme pour Juan Carlos de Gortazar, infatigable animateur de la vie musicale de la capitale biscayenne), consacré au drame lyrique d’un jeune compositeur d’une vingtaine d’années, Jesús Guridi. Elles sont parues en juin 1910 dans la Revista Musical, publiée à Bilbao depuis l’année précédente, entre une étude de Rafael Mitjana sur les compositeurs espagnols du XVIème siècle et la nécrologie du Russe Mili Balakirev, comme pour rappeler le credo artistique partagé par bien des nations musicales de ce début de siècle : un double ancrage dans un passé savant et glorieux d’une part, et dans le fonds populaire d’autre part, à la recherche d’une « couleur nationale » propre.
La citation ci-dessus est bien significative d’un état d’esprit qui anime alors beaucoup de secteurs de la vie culturelle des provinces basques : l’adhésion à un imaginaire bucolique qui dresse un tableau idéalisé de la vie rurale et du cadre qui l’abrite. Zubialde nous décrit un lieu « paisible et typique » : l’industrialisation, qui triomphe au même moment dans les agglomérations biscayennes, ne l’a pas encore atteint ; tout au plus a-t-elle transformé la forge artisanale en ruines hors du temps, c’est-à-dire de la modernité. A part la disparition de la forge, on est conduit à imaginer que rien n’a changé depuis longtemps dans ce paysage présenté comme caractéristique de bien des villages basques : la roue ventrue du moulin tourne, le potager et les figuiers suggèrent une auto-suffisance frugale, le pont est « rustique », le noyer « patriarcal » et protecteur.
A la simplicité de ce cadre champêtre fait écho celle de l’intrigue : l’héroïne éponyme habite avec Manu, son père meunier, et Raimundo, un orphelin que celui ci a élevé comme un fils. Dans la maison voisine vit une famille dotée de nombreux enfants. Parmi eux, Presen, l’amie inséparable de Mirentxu. Presen et Raimundo s’aiment, mais un jour, celui ci découvre que Mirentxu l’aime aussi, et il sait que le meunier souhaite cette union pour sa fille tuberculeuse. Par gratitude, Raimundo décide alors de rendre Mirentxu momentanément heureuse en feignant de partager son amour. Presen s’en rend compte et s’en plaint, mais le mal de Mirentxu, qui empire rapidement, n’en fait pas une rivale pour bien longtemps, et elle pardonne à Raimundo. Quelques mois plus tard, Mirentxu surprend les amants et s’effondre. Après leur avoir pardonné, elle meurt en recevant de Raimundo un baiser fraternel.
Mirentxu, J. Guridi.
Archivo Eresbil
Cette pièce lyrique mérite donc bien son sous-titre d’idylle, c’est-à-dire « petite aventure amoureuse naïve et tendre, généralement chaste »2. Son livret, écrit en castillan et traduit en euskera, est l’œuvre d’Alfredo Echave, un Bilbotar qui mène de front des activités commerciales et journalistiques, et s’intéresse au théâtre : il a notamment écrit deux zarzuelas créées au Centro Vasco, un livret d’opéra mettant en scène les antiques Cantabres et un conte pour enfants programmé lui aussi en 1910 lors de ce que la Sociedad Coral de Bilbao appelle sa « campagne d’opéra basque ». C’est la deuxième fois que cette chorale, fondée une trentaine d’années auparavant et devenue un prestigieux ensemble comptant environ 200 choristes, se consacre au théâtre lyrique basque. En 1909, elle a créé la pastorale lyrique Maitena, œuvre de deux auteurs labourdins, et le succès rencontré a encouragé Echave et José Power, tous deux membres de son comité directeur depuis quelques années, à poursuivre dans cette voie : ils s’attèlent eux-mêmes à la tâche en fournissant les livrets des trois créations de la saison 1910, Mendi-Mendiyan (musique de José María Usandizaga), Lide ta Ixidor évoquée plus haut (musique de Santos Inchausti, le sous-directeur de la chorale) et Mirentxu, dont la partition est commandée à Guridi.
Cela fait presque vingt-cinq ans alors qu’il est question d’ « opéra basque », très exactement depuis la création en 1884, lors du carnaval de Saint-Sébastien, d’une œuvre chroniquée dans la presse locale (probablement par son librettiste lui-même, Serafín Baroja) sous le titre : « Pudente, primera ópera vascongada »3. Peu d’œuvres ont en réalité vu le jour par la suite (deux à Saint-Sébastien, une à Buenos Aires), mais l’opéra basque a suscité un intérêt ininterrompu, croissant et je dirais renouvelé, car peu à peu apparaissent des préoccupations absentes au départ : une dimension nationale, et parfois même nationaliste.
Cette période est en effet marquée par le développement des idées nationalistes et par leur diffusion dans la population, et ce phénomène s’accompagne de ce que l’on nomme la « renaissance basque », observable dans tous les domaines de la vie culturelle. On pourra ainsi lire, dans le bulletin de la Sociedad Coral de Bilbao de 1913 : « la apatia e indiferencia que anteriormente existiera por la música popular, truécase de pronto en el mayor entusiasmo por la misma (...) Entra de lleno la música vasca en un periodo de fecundidad y de vigoroso resurgimiento que prosigue en sus progresos cada vez más notables, y que al recibir los nuevos alientos que le prestaran artistas de tan moderna y excelente preparación como Guridi, Usandizaga, Fr. José Antonio de San Sebastián, el P. Otaño y demás jóvenes y laboriosos compositores con que el pueblo vasco cuenta hoy día, adquiere ya el carácter de un importantísimo movimiento musical, con derivación y personalidad propria, arrancada del arte popular de la vieja raza, y de los preciosos materiales hasta ayer olvidados »4.
Concernant l’opéra basque, les initiatives se multiplient dans la première décennie du XXème siècle, de la part de librettistes, de compositeurs, d’amateurs d’art lyrique : des brochures lui sont consacrées, des projets sont discutés dans la presse (la construction à Bergara d’un Théâtre national, tel un Bayreuth euskarien, par exemple !), une « Sociedad lírica vascongada » voit même le jour à Saint-Sébastien, des œuvres sont ébauchées... L’objectif est la mise en place d’un théâtre lyrique propre, et pour l’atteindre, tous pensent qu’il faut mettre ses pas dans ceux des compositeurs de ce que l’on nomme aujourd’hui les « écoles nationales » européennes : comme eux, il leur faut puiser aux sources populaires, bâtir des intrigues sur l’histoire locale ou la vie quotidienne du peuple, utiliser la langue vernaculaire, et nourrir la musique savante de ce genre prestigieux qu’est l’opéra avec les airs traditionnels, ces « précieux matériaux jusqu’à hier oubliés » mentionnés ci-dessus.
Eloy Garay.
On comprend donc bien, dans cette perspective, les choix faits par Echave pour le livret Mirentxu et la réaction de Gortazar face au cadre de l’idylle, que le décorateur Eloy Garay a scrupuleusement respecté lors de la création. La photographie qui précède la publication du livret en témoigne, et les articles de presse insistent tous sur la réussite plastique et technique de Garay, qui marie poésie des éclairages et réalisme de la représentation : la roue du moulin tourne réellement sous l’action de l’eau au début du second acte ! Un autre commentaire qui revient fréquemment sous la plume des critiques est le fait que les personnages apparaissent bien caractérisés et proches du public : « son otras tantas preciosas figuras, perfectamente acabadas y simpáticas en sumo grado, á las cuales recordamos, con el mayor afecto, aún fuera del teatro, como á seres vivientes y familiares, á quienes frecuentemente encontramos á nuestro paso y que arrancados parecen de la realidad misma »5. Cette volonté de réalisme (il faudrait plutôt dire cette illusion de réalisme, puisque qu’il s’agit d’un réel idéalisé, recomposé en fonction des représentations valorisées par l’imagerie nationale ou nationaliste) imprègne tous les aspects des premières représentations : outre le décor et les jeux de lumière (le soir tombe lors du premier acte, ce qui représentait encore un défi technique à l’époque), les costumes, la gestuelle et même la technique vocale sont conçus pour évoquer le monde paysan basque.
L’intrigue fourmille également de détails et d’épisodes destinés à accentuer cette couleur locale. Ainsi, par exemple, plusieurs scènes font allusion aux divertissements accompagnant les fêtes religieuses : on entend les jeunes gens partir joyeusement pour la romeria et en revenir ; on les voit aussi chanter de maison en maison, à l’occasion de la Sainte-Agathe, en échange de quelques œufs et épis de maïs. Ce passage, encore fameux aujourd’hui, a été très souvent commenté lors de la création.6 Francisco Gascue, par exemple, explique que les auteurs « ont ramené à notre mémoire une antique coutume populaire de nos paysans, qui a maintenant disparu de nos villages, au moins de ceux qui entourent notre ville »7. L’opéra basque remplit ainsi l’une des missions que ses promoteurs lui octroyait : enseigner au public urbain les traditions perdues. Est-ce l’influence de Mirentxu ? En tout cas, en 1912, un groupe de jeunes gens de la Juventud Vasca, principale organisation de jeunesse nationaliste, parcourt les rues de Bilbao en chantant et recueillant des fonds pour les œuvres de l’association, après un concours lancé dans la presse pour recueillir la version la plus « authentique » du chant de Sainte-Agathe – et ce sont Guridi et Gortazar qui la choisissent.
Ces tableaux pittoresques gardent encore aujourd’hui un charme qui aide à accepter l’intrigue principale qui, elle, a beaucoup vieilli. Les personnages ne nous sont plus aussi familiers qu’autrefois, et nous avons du mal à adhérer à ces histoires d’héroïnes phtysiques mourant à la fin de l’opéra dans une débauche de bons sentiments. Elles étaient pourtant monnaie courante à l’époque, et d’ailleurs Echave a même été accusé d’avoir plagié un roman français d’un auteur à la mode, Marcel Prévost ! En revanche, la musique, même si elle n’est pas exempte de quelques maladresses, a conservé sa fraîcheur. Elle est écrite selon les canons de la musique nationale, tout en témoignant de qualités d’écriture tout à fait nouvelles dans le Bilbao du début du XXème siècle.
L’héroïne éponyme habite avec Manu, son père meunier, et Raimundo, un orphelin que celui ci a élevé comme un fils.
On considère à cette époque que les airs populaires sont certes empreints de l’ « âme » du pays, mais aussi qu’ils sont rustiques, voire vulgaires, et qu’ils doivent être transfigurés par le compositeur pour devenir de l’art, de la « poésie musicale » comme dit Zubialde. Guridi partage cette conception et soumet donc la dizaine de mélodies (chants et danses) empruntées aux chansonniers existants ou aux conférences des collecteurs à son métier savant, perfectionné notamment à la Schola Cantorum de Paris sous la férule de Vincent d’Indy, auprès de Joseph Jongen à Bruxelles et d’Otto Nietzel à Cologne. C’est une surprise pour le public de découvrir une œuvre élaborée, où les mélodies populaires sont travaillées, développées, intégrées dans un tissu musical personnel et non plus seulement enchaînées en forme de pots-pourris, et revêtues d’une orchestration beaucoup plus subtile que de coutume. Une chanson au vin de Navarre peut par exemple servir de matériau musical qui sera tronçonné, modifié, superposé, utilisé en imitations pour figurer l’amour de Mirentxu, et un lent zortziko deviendra une sorte de motif de rappel associé à sa maladie. L’habillage contrapuntique, l’harmonisation recherchée, le coloris instrumental raffiné transfigurent le matériau traditionnel, et l’impression est si forte qu’un député proposera, à l’issue de la campagne d’opéra basque de 1910, le lancement d’un concours pour collecter de nouveaux airs populaires destinés à alimenter les futures compositions musicales basques : le résultat en sera les deux chansonniers de R.M. de Azkue et du Père Donostia (plus de 2300 mélodies), qui constituent aujourd’hui encore les fondements du corpus traditionnel.
Nouveauté ne signifie pas pour autant avant-garde, il n’est pas question de s’aventurer dans les voies extrêmes de l’atonalité naissante par exemple, mais l’assimilation de la musique française, allemande ou italienne des dernières décennies se conjugue avec un certain hédonisme musical. Zubialde insiste sur la modération dont Guridi fait preuve : « lo que se advierte del principio al fin en Mirenchu es un arte exquisito de la composición, en que los modernos procedimientos se atemperan por un sentido innato de la justa medida. Las harmonías son distinguidas, pero sin crudeza ; las modulaciones imprevistas, pero sin violencia, y una melodía jugosa contrasta con la sequedad que aflige á la producción contemporánea »8. La qualité de l’écriture vocale s’exprime aussi bien dans le lyrisme des interventions des solistes que dans les parties des chœurs – n’oublions pas que Mirentxu est une commande de la Sociedad Coral, et aussi bien son chœur mixte que son chœur d’enfants y trouvent leur compte. En dépit de quelques réserves portant sur certains aspects de l’œuvre, la presse est enthousiaste : « Inspiración, elegancia, personalidad, técnica, todo ello encierra, en afiligranado conjunto, esta afortunada primera producción lírico-teatral de un músico novel, que apenas si ha salido de la adolescencia », écrit le chroniqueur de La Gaceta del Norte lors de la reprise de 1911. « Su triunfo ha sido inmenso y lo será más todavía, con el tiempo ».
De fait, Mirentxu a connu un destin mouvementé. Il en existe cinq versions successives (la cinquième, posthume, due à Jesús María Arozamena), Guridi transformant tout d’abord l’opéra-comique initial en mettant en musique les scènes parlées, puis réalisant de nouvelles transformations dans les années trente et quarante, à partir de livrets refondus. La quatrième version a d’ailleurs obtenu le Prix national de Théâtre Ruperto Chapí, octroyé à la meilleure œuvre lyrique créée durant l’année 1947. Un arrangement pour chant et piano a été publié l’année suivante, complétant ainsi l’arrangement édité dès 1910 par la Députation de Biscaye, avec un dessin d’Aureliano Arteta en couverture. Ces différentes versions ont été données dans une dizaine de productions, dans les capitales basques ainsi qu’à Barcelone (1913) et à Madrid (1915 et 1949), et Mirentxu a pu être écoutée tout récemment à l’occasion du centième anniversaire de sa création.
1 I. de Zubialde. «Mirenchu». In: Revista Musical. II, n° 6, 1910, p. 133.
2 Paul Robert, «Idylle». In: Le Petit Robert. Paris: Dictionnaires Robert, 1986, p. 958.
3 El Urumea. 25 février 1884, n° 1446.
4 La Sociedad Coral de Bilbao en Barcelona. [Bilbao: Sociedad Coral], 1913, pp. 14-15.
5 J. de L. «De ópera vasca. Mirentxu». In: La Gaceta del Norte. 30 mai 1911, n° 3487.
6 Quelques chromatismes ajoutés à la mélodie populaire ont suscité bien des polémiques: ils rendent le chant exotique pour les uns, «plus folklorique que l’original» pour les autres, comme le dira José Joaquin de Sautu dans le prologue de l’édition de 1948.
7 Francisco Gascue. «Ensayo de crítica musical. Mirentxu». In: Euskal Erria. LXII, 1910, p. 563.
8 I. de Zubialde. «Mirenchu». In: Revista Musical, II, n° 6, 1910, p. 134.
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