Portada

Anthropologie d’une capitale européenne: Donostia 2016

Eric DICHARRY

Introduction

Dans un contexte de gestion politique de “post conflit” tel que le connait le Pays basque, avec l’arrêt définitif de l’usage de la violence de la part de l’organisation séparatiste basque E.T.A, et ce après cinq décennies de lutte armée, la culture devient l’épicentre d’enjeux politiques, idéologiques, sociétaux qui la dépasse, la nourrit, la transforme et l’instrumentalise. Derrière les désaccords sémantiques sur la juste définition à donner au mot “culture”, se dissimulent des désaccords sociaux et nationaux. Les luttes de définition sont en réalité des luttes sociales, le sens à donner aux mots relevant d’enjeux sociaux fondamentaux. L’autonomie de l’art et de la culture cède sous les coups de buttoirs d’une vision de l’art et de la culture qui se doivent d’être mis au service d’objectifs concrets. La culture ainsi instrumentalisée se doit désormais d’insuffler à la nouvelle société basque en construction une nouvelle perspective. Elle se doit d’être capable d’inventer à la fois un présent et un avenir. C’est autour de cette invention du présent et de l’avenir de cette partie de l’Europe que se centrent toutes les oppositions, dissensions, crispations et tensions.

La capitale européenne de la culture est selon les concepteurs du projet conçu pour “laisser un héritage intangible mais puissante: des citoyens libres, humanistes et respectueux des droits humains, un apprentissage de la société plus participative pour résoudre les conflits à travers la culture et les arts. San Sebastian veut devenir une référence du processus de création. Certains projets lancés à l’abri de DSS2016EU tels que Olatu Musika Talka ou Parkean, basée sur la participation et l’échange, sont déjà devenus une partie de l’agenda culturel de la ville. Ce ne sont que deux exemples de la volonté du projet de renforcer les industries créatives comme un moteur pour la coexistence, à impliquer les citoyens dans la gestion culturelle et encourager la collaboration entre les artistes.

La capitale européenne de la culture devient pour le chercheur un véritable laboratoire qui permet de penser la réalité sociale, l’occasion d’un agrandissement où se précisent in vivo et de facto discours, doctrines politiques, enjeux de pouvoir, redéfinitions des notions : culture, paix, démocratie, participation citoyenne, instrumentalisation de l’art et de la culture. L’objectif de la recherche est de rédiger une anthropologie d’une capitale européenne afin de mettre en exergue les discours, les enjeux, les tensions et les perspectives inhérents à ce type d’évènements. La recherche pourra compter sur la réalisation d’un terrain à Saint Sébastien et au Pays Basque Nord ainsi que sur une observation participante du chercheur lors des évènements créés pour l’occasion par l’équipe de la capitale européenne de la culture. Une série d’entretiens avec des acteurs culturels des deux côtés de la frontière en iparralde et en hegoalde permettront d’accéder aux discours des acteurs culturels et de mettre l’accent sur l’aspect transfrontalier de l’évènement. Des entretiens seront de plus réalisés avec des participants aux évènements culturels mis en place afin de permettre d’analyser les retours d’expériences.

Repères historiques et anthropologiques

Capitale européenne de la culture est un titre attribué pour un an à une ville européenne. La CEC est une initiative de l’Union Européenne conçue pour contribuer au rapprochement et aux échanges entre les divers peuples d’Europe. Les objectifs affichés par l’Union consistent à mettre en valeur la richesse, la diversité et les caractéristiques communes des cultures européennes, permettre une meilleure connaissance mutuelle entre les citoyens/citoyennes de l’Union européenne et favoriser le sentiment d’appartenance à une même communauté européenne. Le projet est financé par l’Europe, les collectivités territoriales, les partenaires, les mécènes et l’Etat. L’Union Européenne y apporte son label et une contribution financière à travers son programme cadre pour la culture d’un montant de 1,5 millions d’euros.

L’attribution de ce titre a été lancée le 13 juin 1985 par le Conseil des ministres de l’Union européenne sur l’initiative de la ministre grecque de la culture Melina Mercouri et du ministre de la culture français, Jack Lang, dans le but de rapprocher les citoyens de l’Union européenne. La ville d’Athènes en Grèce fut en 1985 la première ville en Europe à obtenir ce titre prestigieux. La décision du Parlement européen et du Conseil du 25 mai 1999 intègre cet événement dans le cadre de la Communauté et présente une nouvelle procédure de sélection pour les villes Capitales pour la période 2005-2019. Il est donné à chaque pays membre de l’Union européenne l’occasion d’accueillir la Capitale à tour de rôle. La décision 1622/2006/CE du Parlement européen et du Conseil de 2006 a modifié la procédure de sélection des villes et a précisé les critères d’attribution du titre. Une fois nommée capitale européenne de la culture pour une année sur la base d’un programme culturel, la ville est responsable de la mise en ?uvre de la manifestation pour l’année en question.

Photo: Juan Mari Zurutuza

Les capitales européennes de la culture sont un des projets les plus reconnus de l’UE.

Les capitales européennes de la culture sont un des projets les plus reconnus de l’UE. L’idée est de mettre les villes au c?ur de la vie culturelle à travers l’Europe par la culture et l’art. Les capitales européennes de la culture visent à améliorer la qualité de vie dans ces villes et de renforcer leur sentiment d’appartenance à la communauté européenne. Les citoyens peuvent participer aux activités culturelles tout au long de l’année et jouer un rôle plus important au niveau du développement de leur ville et au niveau de l’expression culturelle. Etre capitale européenne de la culture apporte une nouvelle vie à ces villes. Les capitales permettent de stimuler leur patrimoine culturel, social et elles participent également au développement économique. Beaucoup d’entre elles, comme Lille, Glasgow et Essen, ont démontré que le titre peut être une opportunité pour régénérer le tissu urbain, la créativité, apportant de nombreux visiteurs et une reconnaissance internationale. Les capitales ont comme objectif de promouvoir la compréhension mutuelle et de montrer comment la langue universelle de la créativité ouvre l’Europe aux cultures de partout dans le monde.

Saint Sébastien a remporté sa sélection en faisant un effort pour coller aux objectifs de l’événement et aux critères du programme culturel fixé par l’article 4 de la décision, à savoir la dimension européenne et la ville et les citoyens. Le maire Odón Elorza González, maire socialiste PSOE de Saint Sébastien de 1991 à 2011 a porté le processus de l’élaboration de l’offre sur les deux critères principaux: la dimension “de la ville et les citoyens” et la dimension européenne. La capitale européenne de la culture était vue comme une opportunité de faire un bond en avant dans les liens culturels internationaux de Donostia - San Sebastián, qui sont déjà développés. La délégation avait montré des preuves solides de l’implication des artistes dans l’élaboration de l’offre. La délégation avait expliqué que la devise de la candidature était : vagues d’énergie citoyenne, avec une devise complémentaire intitulé culture de la coexistence. Le programme visait à assurer la cohésion civique à tous les citoyens, à promouvoir les valeurs démocratiques et à favoriser le respect de ces idées exprimées dans la paix.

Analyse de la programmation

Les trois phares (paix, vie et voix) de la programmation de Donostia 2016 permettent de révéler quelques figures emblématiques de la culture basque contemporaine et ce dans divers champs. L’analyse rend compte du fait que les programmateurs ont élaboré leur programmation en faisant appel à des créateurs locaux et internationaux en vue, généralement primés par de nombreux prix et aux parcours remarquables et médiatisés. Nulle place aux autodidactes de la culture mais au contraire un recentrage sur des valeurs sûres, sur des professionnels de l’art contemporain, sur des figures iconiques reconnues par les critiques et les différents institutions (musées, institutions culturelles, institutions politiques...).

L’analyse des parcours de vie des artistes permet de constater que les programmateurs ont fait appel à ce qui se fait de mieux au niveau des créateurs en art contemporain basque au XXIème siècle. Mais une simple programmation au niveau local, et même si ces artistes ont une visibilité internationale ne saurait suffire pour une programmation aussi prestigieuse qu’une capitale européenne. C’est ce qui a poussé les directeurs artistiques de l’évènement à aller recruter à l’étranger. Art contemporain, théâtre, dance, cinéma, street art, la programmation de Donostia 2016 est diverse et variée et reprend les définitions de la culture des institutions qui compartimentent la culture en divers champs : danse, art scéniques, cinéma, théâtre... Les cartes blanches offertes aux artistes tels qu’Esther Ferrer, Anjel Lertxundi et Jone San Martin sont l’occasion de venir étoffer l’offre culturelle. Une nouvelle fois les programmateurs ont fait appel à trois figures connues et reconnues chacune dans son domaine. Esther Ferrer (Donostia, 1937) pour ses performances, Anjel Lertxundi pour ses écrits et Jone San Martin pour sa danse. Cette dernière danseuse et chorégraphe, étant la complice de création depuis vingt-deux ans du chorégraphe William Forsythe. Elle intègre le ballet de Francfort en 1992 et la Forsythe Company en 2005.

La programmation se dessine avec ses figures, ses personnalités, ses créateurs. Une programmation à la fois culture des élites, pointue, exigeante qui côtoie une programmation plus populaire, plus grand public avec à chaque fois pour chacune des programmations des lieux spécifiques qui correspondent. D’un côté des musées, des salles d’exposition, et de l’autre des espaces publics, des parcs, des ponts. L’analyse de ces propositions permet de comprendre que la programmation consiste à la fois par des propositions originales crées expressément pour l’évènement et à la fois par la sélection de créations déjà proposée dans d’autres espaces et reprises pour l’occasion comme par exemple pour Legítimo / Rezo de Jone San Martin ou encore l’installation Tuiza de l’artiste Federico Guzmán. Au-delà il existe une correspondance entre la sélection des artistes d’un coté et les prix institutionnels de l’autre. Rien d’étonnant de retrouver dans la programmation soit des artistes qui se sont vus attribués par exemple le prix Gure Artea créé en 1981 par le Gouvernement basque, Eusko Jaurlaritza, pour leur parcours artistique soit des artistes qui gravitent ou ont gravités autour d’eux lors de formations. Ainsi se dessine des réseaux avec à leur tête des figures emblématiques comme peut l’être l’artiste Txomin Badiola et autour d’eux des “disciples” comme Ibon Aranberri, ancien élève de Badiola à Arteleku de Saint Sébastien, dont nous avons eu l’occasion d’évoquer le parcours. A un premier cercle vient donc s’articuler d’autres cercles. Cercles qui finissent par constituer un réseau, une constellation qui apparait à l’occasion des expositions et des évènements culturels comme l’est la capitale européenne de la culture.

Photo: Juan Mari Zurutuza

Les trois phares (paix, vie et voix) de la programmation de Donostia 2016 permettent de révéler quelques figures emblématiques de la culture basque contemporaine et ce dans divers champs.

Analyser les prix c’est permettre d’établir une correspondance entre prix et programmation artistique. Le prix Gure artea est symptomatique de cette relation intime et permet de dessiner des passerelles entre prix et programmation. Juan Luis Moraza (Gure artea 2014, projet Afuera), Esther Ferrer (Gure artea 2012, carte blanche). Le prix a une triple importance. Il permet à l’artiste de bénéficier 1) d’un soutien financier (chaque prix est d’un montant de 25000 euros), 2) d’une légitimité institutionnelle, 3) d’une légitimité au niveau du marché de l’art (galeries, institutions publiques, collectionneurs privés). L’institution apprécie par-dessus tout l’institution. Elle trouve en elle-même sa propre légitimation. L’équipe de la programmation de la capitale européenne de la culture ne va pas faire son marché et sa sélection n’importe où et de n’importe quelle manière. Elle va puiser dans des mécanismes et des circuits institutionnels de sélection préexistants. La programmation consiste en une relégitimation d’une légitimation préexistante, en une logique de reproduction.

L’analyse des biographies de créateurs permet de conclure qu’à l’heure de sélectionner les artistes et les créateurs pour la capitale européenne de la culture de Saint Sébastien 2016 les programmateurs ont retenu comme critères : 1) l’origine des candidats, 2) les liens qu’ils ont pu entretenir au cours de leurs parcours artistiques avec le territoire et avec la culture basque 3) leur aura et de leur notoriété sur la toile (internet) et dans les milieux artistiques et institutionnels de la culture, 4) les prix et bourses au niveau local et international qu’ils ont pu obtenir grâce à leurs créations.

La capitale européenne de la culture Donostia 2016 est l’occasion de réunir au cours d’une année de programmer des créateurs nés au pays et qui pour satisfaire leurs appétits de créations ont du voyager, s’exiler parfois dans des territoires qui leurs permettent de s’exprimer à la hauteur de leurs talents. Donostia devient carrefour de cultures, point de rendez-vous d’une création en train de se faire, espace bouillonnant où l’on peut croiser des auteurs, des poètes, des écrivains, des sculpteurs, des cinéastes, des acteurs, des danseurs, des hommes et des femmes qui réfléchissent le monde et qui par leurs productions tentent de faire sentir leurs manières d’appréhender la société. Des hommes et des femmes porteurs d’émotions à partager, à transmettre le temps d’une exposition, d’une pièce de théâtre, d’une proposition dansée, d’une installation, d’un graffiti sur un mur, d’un concert.

Conclusion

L’analyse de la capitale européenne de la culture permet de souligner que dans un contexte postindustriel de reconversion économique des villes, les politiques culturelles longtemps séparées du domaine économique se sont transformées lorsqu’elles ont commencé à être envisagées comme un outil de régénération économique et urbaine. L’évolution des Capitales Européennes de la Culture est à ce titre emblématique. Les villes sélectionnées pour devenir des Capitales Européennes de la Culture deviennent des instruments qui apparaissent soudainement rentable pour remporter une compétition et accroître leur attractivité.

Pour Saint-Sébastien comme pour les autres capitales européennes, l’opportunité d’une candidature a été perçue comme un outil de promotion du territoire avec effet d’entraînement des grandes fonctions économiques créatrice de valeur. L’appropriation de l’opération par les acteurs politiques locaux, qui aurait du être était une condition du succès de la candidature qui avait besoin d’une légitimité démocratique, aura était révélatrice de perturbations en raison des jeux d’acteurs politiques aux intérêts particuliers, partisans et divergents. Quant aux acteurs culturels locaux leurs positions sont diverses. Il y a celle de l’enrôlement stratégique, un positionnement qui peut être critique de l’instrumentalisation économique de leur activité tout en y trouvant dans le même temps la possibilité de la pérenniser. La critique radicale consiste ici à dénoncer l’instrumentalisation de la culture à des fins économiques et strictement commerciales où l’opération est un écran de fumée, un cheval de Troie des politiques d’ajustement structurel utilisant la culture comme véhicule.

L’analyse de la gouvernance du projet révèle pour sa part les difficultés rencontrées à l’heure de la mise en place d’une direction professionnalisée et externalisée ne dépendant pas des autorités politiques ainsi que le recommande l’Union Européenne. L’analyse de la capitale européenne souligne l’absence d’un consensus politique s’appuyant sur les experts indépendants pour enclencher une coopération territoriale inédite entre les différentes collectivités locales partie prenante du projet. Ce consensus opératoire qui se serait manifesté dans une coalition de causes entre des acteurs ne partageant ni les mêmes intérêts ni les mêmes représentations qui sous-tendent le projet aurait permis une meilleure efficacité. Ces consensus auraient soulignés la capacité des acteurs politiques à une saine coexistence à travers un projet culturel d’envergure internationale. Les tiraillements et les querelles politiciennes ont au contraire démontrés les “déficiences” des hommes politiques locaux au regard des défis et des enjeux internationaux. L’occasion pour le chercheur de souligner qu’en politique les intérêts particuliers priment encore trop souvent sur l’intérêt général.

Opinion des lecteurs:

comments powered by Disqus
Escribe

Zure iritzia / Su opinión

Participez

Prix

  • Artetsu Saria 2005

    Arbaso Elkarteak Eusko Ikaskuntzari 2005eko Artetsu sarietako bat eman dio Euskonewseko Artisautza atalarengatik

  • Buber Saria 2003

    On line komunikabide onenari Buber Saria 2003. Euskonews

  • Argia Saria 1999

    Astekari elektronikoari Merezimenduzko Saria

Eusko IkaskuntzaAsmozEuskomedia