Xabier
HARLUXET
Aitor MONTOYA
Jocelyne VERRET
Traducteur: Jocelyne VERRET
Jatorrizko bertsioa euskaraz
Sous
le titre "50 ans au Québec… et toujours bascophone!",
nous vous avions présenté, dans deux articles précédents,
(http://www.euskonews.com/0254zbk/kosmo25401fr.html
; http://www.euskonews.com/0255zbk/kosmo25502fr.html),
trois basques vivant au Québec. Cette fois-ci, vous ferez la connaissance
de Jean Goyhenetche, établi à Montréal depuis trente-cinq
ans. Il y a fondé une famille et est président de l’association
Euskaldunak (http://www.euskonews.com/0207zbk/kosmo20701fr.html),
reconnue tout récemment au sein du réseau mondial des Maisons
basques (Euskal Etxeak).
Famille nombreuse
Né à Hasparren en 1944, Jean Goyhenetche nous a avoué d’emblée être "le deuxième, le plus terrible et aussi un des plus petits" de onze enfants. Son père était d’une grande famille des Aldudes. Son grand-père y avait une ferme dont les terres s’étendaient des deux côtés des Pyrénées: à Aldude, en Basse-Navarre et à Kinto, en Haute-Navarre. Comme quoi la famille et la culture basques ne s’embarrassaient guère des bornes frontalières… Sa mère était originaire d’un village côtier de Biscaye, d’une famille de pêcheurs qui avait émigré au Pays Basque Nord. Jean ne connaît pas les détails de l’histoire familiale du côté maternel: ce thème n’était jamais abordé à la maison. Elle était institutrice et est décédée très jeune, à trente-huit ans, après avoir mis au monde onze enfants.
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Jean Goyhenetche et Jocelyne Verret. |
De naissance, Jean est donc Labourdin, mais il a aussi des origines biscayennes et navarraises…
Ses parents étaient métayers au château Eliana d’Hasparren. En 1952, son père a emmené la famille en Basse-Navarre, mais pas trop loin, quand même: à Ayherre, juste à la frontière avec le Labourd, où il a acheté la maison Sabaltza. Les brebis constituaient l’élément principal de l’exploitation agricole. C’est le plus jeune des frères qui a repris la ferme familiale. Son père n’a pas suivi la tradition basque, puisqu’il a réparti des parcelles de terre à ses enfants, tout en prenant soin de ne pas mettre en péril le futur de la ferme. Cinq d’entre eux, dont Jean, s’y sont construit une maison: au village, on appelle ce secteur le quartier Goyhenetche.
Ils étaient, le plus souvent, plus de quinze à table: les parents, les grands-parents, des oncles et des tantes, neuf enfants (des onze, deux sont morts très jeunes)… Il n’est pas étonnant que, dans une famille aussi nombreuse, plusieurs aient émigré en Amérique. Quand le frère aîné de Jean est parti, il avait déjà sept frères et soeurs de son père qui l’avaient précédé en Californie. Aujourd’hui, il a quarante-cinq cousins et cousines là-bas…
À la maison et au village, en basque
Dans sa jeunesse, Jean a vécu dans un environnement totalement bascophone.
Son père n’utilisait le français que lorsqu’il n’avait pas le
choix. Sa vie durant, jusqu’à il y a quelques années, donc,
il s’est toujours adressé à ses enfants et à ses petits-enfants
en basque.
Au village aussi, à cette époque-là, tout se passait
en basque. Pour tout le monde, Jean était "Manez". Manez
a donc appris le français à l’école. Il connaissait aussi
l’espagnol, car du temps où ses parents étaient métayers,
ils utilisaient cette langue avec les propriétaires de la maison.
Il a fait ses études au collège d’Hasparren. Comme il n’avait pas réussi à obtenir son certificat d’études, sa mère voulait qu’il redouble. Mais son père n’était visiblement pas du même avis: "Pour travailler dans les champs, traire les vaches et les brebis, il n’a pas besoin de ça!" C’est ainsi qu’il a abandonné l’école à quatorze ans. Six mois plus tard, son père arrive du marché d’Hasparren, en compagnie du forgeron de Lekuine (à côté d’Hasparren), et lui dit: "Voilà mon garçon, tu vas retourner à l’école pour un Certificat d’aptitude professionnelle (CAP) de mécanicien de machines agricoles. Un mois au travail, une semaine à l’école, environ. Signe ici les papiers d’apprenti." C’est ainsi qu’il est devenu apprenti mécanicien. L’expérience a duré trois ans et il en est sorti avec son CAP en mains. Il était nourri et touchait un petit salaire. Il devait faire de longues journées. À cette époque-là, le forgeron était maître et roi au village. Tout le monde avait besoin de ses services; que ce soit pour un robinet ou pour une pièce de tracteur, c’est lui qu’on appelait. Sa journée terminée, le travail à la ferme attendait Manez…
Notre jeune homme n’avait cependant pas les moyens de sortir avec les jeunes filles. Sa mère l’aidait bien un peu, parfois. Alors, pour arrondir son budget, de temps à autre, il faisait quelques incursions de l’autre côté de la frontière, suivant en cela une longue tradition de commerce entre Basques du Nord et du Sud...
Forgeron et employé agricole
Quand sa mère est tombée malade, il a dû revenir à la ferme, d’autant plus que son frère aîné était parti faire son service militaire. Il y a travaillé jusqu’à son appel sous les drapeaux, en novembre 1963. Tenant compte de l’état de santé de sa mère, il n’a pas été envoyé à l’extérieur et a fait son service à Bordeaux et à Paris. Deux mois plus tard, en janvier 1964, sa mère est décédée, laissant son père seul avec sept enfants. Au retour de l’armée, Manez est donc resté à l’exploitation familiale, jusqu’à ce que son jeune frère soit en âge de travailler.
C’est à Villefranque, dans le Labourd, qu’il a trouvé du travail chez les forgerons, dans la vente et la réparation de machines agricoles. Il était logé et nourri dans un hôtel du village, et touchait un salaire. Dans ces années-là, l’agriculture se modernisait et ils devaient souvent livrer des machines dans les fermes. Manez n’était pas peu fier de se promener au volant de la petite fourgonnette ou d’un tracteur. Heureux comme un roi, il a pu ainsi connaître tous les recoins du Pays Basque. Toutefois, il n’y avait de travail que du printemps à l’automne. En hiver, dans le secteur agricole, tout ralentissait. Il prenait alors la route vers le nord, comme beaucoup de Basques. Il a fait quatre ou cinq saisons dans l’industrie de la betterave sucrière, près de Paris. C’était un travail harassant, semaine et dimanche, douze heures par jour. Mais un jeune qui n’avait pas peur de retrousser ses manches pouvait empocher un salaire intéressant.
Le rêve
Entre-temps, Manez avait commencé à faire des démarches pour aller en Amérique. Quand les oncles d’Amérique venaient en visite au pays, les gens du village en bavaient d’envie. Pour un jeune, c’était l’image de la richesse! "Le rêve américain"… Alors qu’il avait déjà ses papiers pour devenir berger en Californie, le Gouvernement français mit à la porte les Américains, prenant prétexte de l’extinction de la dette de guerre. Les États-Unis, en représailles, bloquèrent alors l’immigration et les importations françaises. Le différend fut rapidement réglé, mais Manez n’avait pas pu obtenir son visa à temps. Il avait toutefois suivi les conseils de ses oncles et avait refusé de payer quoi que ce soit avant d’avoir son visa en main. L’organisateur de ces voyages en Amérique, voyant qu’il allait perdre l’occasion de vendre un billet, lui proposa alors Montréal. "Je dois avouer que je ne savais même pas où c’était, mais j’avais une vague idée qu’on y parlait français…"
L’Amérique
Il a traversé l’Atlantique à vingt-quatre ans. C’était le 18 avril 1969. Parti de chez lui sous un soleil radieux, à sa descente d’avion, il n’y avait aucun semblant de printemps: il neigeait! Et à l’aéroport, aucune trace de sa valise. En fait, elle apparaîtra six mois plus tard… chez sa soeur. À part les cent dollars qu’il avait en poche, il arrivait les mains vides. Pour comble de malchance, la préposée du bureau de change lui avait remis dix dollars en moins. Manez a protesté, bien sûr, mais voyant l’armoire à glace qui venait vers lui, il a vite compris qu’il ne récupérerait pas son dû. Il s’est quand même permis de répéter sa plainte avant de s’éloigner. Il faut dire aussi qu’en arrivant ici, il ne saisissait pas grand chose de cet étrange français qui se parle en Amérique, juste assez pour comprendre l’agent des douanes: "Bienvenue au Canada!" Ça commençait bien!...
Il ne connaissait personne à Montréal. On lui avait donné le nom d’un hôtel, rue Saint-Denis, qui existe encore aujourd’hui au même endroit. C’est là qu’il a passé sa première nuit en Amérique. Le lendemain, suivant les instructions des services d’Immigration, il s’est rendu dans une entreprise qui embauchait des soudeurs. Il avait passé l’entrevue et tout allait bien quand le contremaître lui a demandé s’il parlait anglais. "- Non", a répondu Manez. "- Et italien?" "- Non plus." "- Alors, il n’y a pas de travail pour toi ici."
Le surlendemain, encore référé par Immigration Canada, il est allé chercher de l’emploi dans une autre entreprise, la Canadian Steel Fonderie. L’entrevue s’était, là aussi, bien déroulée et on était prêt à l’embaucher. Mais quand il a vu l’atelier et qu’il s’est rendu compte qu’il s’agissait d’une fonderie, c’est Manez qui a dit "Non, merci!" Il avait travaillé, à Bayonne, à la coulée du métal en fusion et ça lui avait suffi comme expérience: c’était un véritable enfer!
Le troisième jour, il a pris un taxi et s’est fait conduire à une adresse que sa soeur lui avait donnée. Pour payer ses études, elle avait fait une saison sur la côte, dans un hôtel de Saint-Jean-de-Luz. Le patron de cet hôtel avait un neveu qui avait ouvert un garage à Montréal, et il en avait donné l’adresse à la soeur de Manez, sur un bout de papier. Grâce à ce bout de papier, il a trouvé son premier emploi. Il y est resté deux ans. Même si le salaire était inférieur au salaire minimum, il s’en souvient comme d’une très bonne expérience. D’ailleurs, il est toujours en relations avec son compatriote, avec lequel il soupe de temps à autre.
Même s’il avait trouvé du travail à Montréal, le rêve californien continuait à lui trotter dans la tête. Il était ici depuis six mois lorsqu’il s’est décidé à y aller. Mais les contrats de berger étaient pour cinq ans et, de l’avis de Manez, cinq ans, c’était très long: "Je voulais être libre." Il a donc continué à travailler au garage.
Un jour, un client du garage l’a vu à l’oeuvre et sa façon de travailler lui a plu. Il était de la grande entreprise Simard & Beaudry. On lui offrait un bien meilleur salaire et il y a travaillé jusqu’en 1976, jusqu’à la fermeture de l’entreprise.
Entre temps, il a dû faire des études. En arrivant ici, on ne lui avait pas reconnu l’équivalence de son diplôme. Pour obtenir sa carte de métier, il a d’abord dû refaire la dernière année du secondaire, puis des études professionnelles dans un collège. Sept ans durant, au travail le jour et sur les bancs d’école le soir…
Il est ensuite entré dans une très grosse entreprise, Bombardier, où il a travaillé près de vingt ans. Quand ils ont fermé l’usine, jetant à la rue mille quatre cents employés, la situation était dramatique pour plusieurs. À quarante-neuf ans, ce n’était pas facile de recommencer à chercher un emploi. Mais Manez n’est pas du genre à se laisser abattre. Comme il avait beaucoup d’expérience, il a commencé à travailler dans le secteur du bâtiment. Ce travail, qui lui a donné l’occasion de voyager au Québec et en Ontario (la province voisine), était très intéressant, parce qu’il réparait des machines industrielles dans différents secteurs d’activité.
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Jean Goyhenetche, son épouse, son fils, sa belle-fille et sa petite-fille. |
Il a pris sa retraite il n’y a pas longtemps, encore qu’il n’ait pas complètement arrêté de travailler. Il continue à accepter des contrats, le temps que son épouse touche, elle aussi, sa pension. Il avait le projet d’aller vivre dans le quartier Goyhenetche d’Ayherre, mais sa famille l’attache au Québec. Son épouse, avec qui il partage sa vie depuis trente ans, est Québécoise. Son fils, sa fille et ses deux petits-enfants vivent ici. Au moins, ils pourront passer de longues vacances au Pays Basque…
Comment avez-vous maintenu la langue basque, ici?
J’utilise le basque avec les gens de notre association et, en général, avec les bascophones qui vivent ici. À la maison, par contre, très peu. Mon fils et ma fille sont nés ici, ils ont été élevés dans un environnement francophone et ils ne maîtrisent pas la langue. Mais à mes petits-enfants, je parle en euskara; ils sont encore tout petits, mais ils m’appellent "aitatxi".
Je maintiens la relation avec la famille et les amis là-bas, par téléphone. Il va sans dire que lors de mes voyages au pays, nous utilisons notre langue. Auparavant, nous y allions tous les quatre ou cinq ans. Depuis cinq ans, nous faisons le voyage tous les ans, mon épouse et moi. Je conserve mes liens là-bas et j’aide ceux qui veulent venir s’installer ici.
Et puis, il y a la lecture. Je m’intéresse à tout ce qui traite de l’histoire de l’émigration des Basques.
Comment aviez-vous des nouvelles du Pays Basque, il y a 35 ans? Et aujourd’hui?
Au début, par la correspondance avec mes frères et soeurs. Nous écrivions en français, car on ne nous a pas appris à écrire en basque, à l’école. Et par téléphone, avec les parents de Californie; les premières années, il n’y avait pas le téléphone chez mon père.
Maintenant, j’ai des nouvelles de là-bas par téléphone, par courrier électronique et via Internet.
Que valent les voyages pour maintenir les relations avec le Pays Basque?
Peu importe dans quel coin de la planète il se trouve, le Basque laisse son coeur au Pays Basque…
Avez-vous noté des changements au pays, après avoir vécu 35 ans à l’étranger?
La campagne n’a pas changé, malgré les maisons cossues et mieux entretenues. C’est dans les villes que les changements sont les plus notables: de grosses industries, des chantiers partout, les autoroutes… Mais au fond, il n’y a pas eu de changement radical. Le Basque est resté égal à lui-même. Malheureusement, la situation de l’euskara, elle, s’est dégradée…
Comparaisons entre le Québec et le Pays Basque…
Le paysage est différent, mais le Québec est une terre magnifique: les forêts, la nature… Ici, il y a de l’espace!
Avant, il y avait une différence dans le niveau de vie. Mais aujourd’hui, ici et là-bas, c’est semblable; bref, cher dans les deux cas...
Conseil à ceux qui veulent immigrer au Québec.
C’est dommage que le fameux "rêve américain"
persiste encore, en 2005. Je voudrais dire à ceux qui projettent de
venir ici de ne pas s’imaginer qu’ils y seront mieux: les cages ne sont pas
en or…
Le Pays Basque est petit en superficie; il n’y a pas de travail pour tous
et plusieurs doivent donc aller en chercher à Bordeaux, à Toulouse,
à Paris. Si on veut venir ici, il faut laisser derrière soi
les rêves dorés. Du travail, ce n’est pas ce qui manque, mais
il vaut mieux oublier la semaine de trente-cinq heures: il faut être
prêt à travailler fort. On a surtout besoin de travailleurs qualifiés,
ici; on valorise la formation professionnelle. Il faut aussi savoir qu’on
ne reconnaît pas facilement les diplômes obtenus ailleurs; il
faut faire de nombreuses démarches pour obtenir une équivalence:
il manque toujours un papier… Immigrer n’est pas plus facile aujourd’hui
qu’il y a trente-cinq ans.
L’association Euskaldunak, du point de vue de son président…
Après huit ans, quelle évolution a connu l’association?
En arrivant ici, la plupart des immigrants voulaient laisser derrière eux les problèmes politiques et chacun voulait faire son chemin. Regrouper les gens n’a donc pas toujours été très facile. Notre association est née en 1996, la même année où a été créé le Parc de l’aventure basque en Amérique, le PABA. J’ai pris part, avec quelques personnes, à la création des deux entités. Petit à petit, grâce aux activités culturelles que nous avons organisées, les gens ont commencé à se rapprocher. Avec les cours de basque et les manifestations culturelles lors de la célébration de la semaine basque, nous avons attiré les jeunes - et les moins jeunes! Ils ne sont pas tous nécessairement devenus membres, mais ils gravitent autour de l’association (www.euskaldunakquebec.com).
Les priorités, dans les mois à venir…
Progressivement, nous devons impulser de nouveaux projets, à la mesure de nos forces et de nos ressources. La priorité, sans aucun doute, sera d’attirer les jeunes, de lier les générations au sein de l’association, de construire des ponts…
Le fait d’être maintenant une Maison basque reconnue officiellement va-t-il influencer le développement de l’association?
C’est sans aucun doute une très bonne nouvelle et une étape importante. Le fait d’intégrer une structure officielle implique une certaine responsabilité et au début, cela nous inquiétait un peu. Mais c’est un très bon outil pour aller de l’avant. Ainsi, les Basques du monde entier nous connaîtront mieux, et nous aurons nous aussi l’opportunité de les connaître. Cela va nous aider à concrétiser nos projets. L’avenir nous le dira…
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